s jamais avoir songe a etre son amant; enfin,
lui qui faisait a Giulia (je t'ai dit qu'elle etait sa soeur de la main
gauche) des vers et des romances tout remplis d'_amore_ et de _felicita_,
le voila, ce pauvre Pierre, qui, apres m'avoir dit tant de fois: _il
nostro amore per Alfredo_, lit je ne sais quel mot, quelle ligne de ma
reponse a toi le jour du depart, et s'imagine je ne sais quoi." Pagello
est jaloux. A-t-il decachete une lettre de George Sand? A-t-il lu, par
dessus l'epaule d'Alfred de Musset, une phrase ainsi concue: "Il faut que
je sois a toi, c'est ma destinee?" Elle nie l'avoir ecrite. En realite, il
n'admet pas qu'on lui ait fait faire trois cents lieues pour l'abandonner
et lui laisser l'unique distraction de promenades au Jardin des Plantes,
ou lui infliger la lugubre solitude d'une miserable chambre d'hotel.
Nous nous expliquons, mais George Sand semble ne pas s'expliquer la
revolte de Pagello: "Lui qui comprenait tout a Venise, du moment qu'il a
mis le pied en France, il n'a plus rien compris, et le voila desespere.
Tout de moi le blesse et l'irrite. Et faut-il le dire? il part, il est
peut-etre parti a l'heure qu'il est, et moi, je ne le retiendrai pas,
parce que je suis offensee jusqu'au fond de l'ame de ce qu'il m'ecrit, et
que, je le sens bien, il n'a plus la foi, par consequent il n'a plus
l'amour." Elle ira a Paris, en apparence pour consoler Pagello--car elle
ne veut ni se justifier ni le retenir--mais, a dire vrai, avec l'espoir et
le desir de rencontrer Musset, a son retour de Baden. Le Venitien l'obsede;
elle en est excedee, et elle philosophe sur cet amour expirant, qui va
rejoindre les affections defuntes: "Est-ce que l'amour eleve et croyant
est possible? Est-ce qu'il ne faut pas que je meure sans l'avoir
rencontre? Toujours saisir des fantomes et poursuivre des ombres! Je m'en
lasse. Et pourtant je l'aimais sincerement et serieusement, cet homme
genereux, aussi romanesque que moi, et que je croyais plus fort que moi.
Je l'aimais comme un pere, et tu etais alors notre enfant a tous deux. Le
voila qui redevient un etre faible, soupconneux, injuste, faisant des
querelles d'Allemand et vous laissant tomber sur la tete ces pierres qui
brisent tout."
Elle esperait, certes, que Pagello serait raisonnable. N'avait-il pas
accepte qu'elle revit Alfred de Musset et qu'elle l'embrassat en sa
presence? "Les trois baisers que je t'ai donnes, un sur le front et un sur
chaque joue, en te quittant, i
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