lus maudire, George. Je puis souffrir encore
maintenant, mais je ne puis plus maudire."
Il lui offre le sacrifice de sa vie et d'aller mourir en silence a trois
cents lieues, ou simplement de ne plus la poursuivre de ses lettres. Il
est pret a obeir: "Sois heureuse a tout prix, oh! sois heureuse,
bien-aimee de mon ame! Le temps est inexorable, la mort avare; les
dernieres annees de la jeunesse s'envolent plus rapidement que les
premieres." Puis il ajoute, avec un tantinet de declamation: "Les
condamnes a mort ne renient pas leur Dieu... Retrecis ton coeur, mon grand
George, tu en as trop pour une poitrine humaine. Mais si tu renonces a la
vie, si tu te retrouves jamais seule en face du malheur, rappelle toi le
serment que tu m'as fait: "Ne meurs pas sans moi." Souviens-t'en,
souviens-t'en, tu me l'as promis devant Dieu."
Le surplus de la lettre, ou fremit et vibre l'emotion, est d'une rare
beaute de pensee et de style. On y sent tressaillir l'ame douloureuse du
poete:
"Je ne mourrai pas, moi, sans avoir fait mon livre sur moi et sur toi (sur
toi surtout). Non, ma belle, ma sainte fiancee, tu ne te coucheras pas
dans cette froide terre, sans qu'elle sache qui elle a porte. Non, non,
j'en jure par ma jeunesse et mon genie, il ne poussera sur ta tombe que
des lis sans tache. J'y poserai, de ces mains que voila, ton epitaphe en
marbre plus pur que les statues de nos gloires d'un jour. La posterite
repetera nos noms comme ceux de ces amants immortels qui n'en ont plus
qu'un a eux deux, comme Romeo et Juliette, comme Heloise et Abelard; on ne
parlera jamais de l'un sans parler de l'autre. Ce sera la un mariage plus
sacre que ceux que font les pretres; le mariage imperissable et chaste de
l'Intelligence. Les peuples futurs y reconnaitront le symbole du seul Dieu
qu'ils adoreront. Quelqu'un n'a-t-il pas dit que les revolutions de
l'esprit humain avaient toujours des avant-coureurs qui les annoncaient a
leur siecle? Eh bien, le siecle de l'Intelligence est venu. Elle sort des
ruines du monde, cette souveraine de l'avenir; elle gravera ton portrait
et le mien sur une des pierres de son collier. Elle sera le pretre qui
nous benira, qui nous couchera dans la tombe, comme une mere y couche sa
fille le soir de ses noces; elle ecrira nos deux chiffres sur la nouvelle
ecorce de l'arbre de vie. Je terminerai ton histoire par mon hymne d'amour;
je ferai un appel, du fond d'un coeur de vingt ans, a tous les enfants de
la terre; je so
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