nnerai aux oreilles de ce siecle blase et corrompu, athee
et crapuleux, la trompette des resurrections humaines, que le Cbrist a
laissee au pied de sa croix. Jesus! Jesus! et moi aussi, je suis fils de
ton pere. Je te rendrai les baisers de ma fiancee; c'est toi qui me l'as
envoyee, a travers tant de dangers, tant de courses lointaines, qu'elle a
couru pour venir a moi. Je nous ferai, a elle et a moi, une tombe qui sera
toujours verte, et peut-etre les generations futures repeteront-elles
quelques-unes de mes paroles, peut-etre beniront-elles un jour ceux qui
auront frappe avec le myrte de l'amour aux portes de la liberte."
Cette lettre, ecrite avec une sensibilite qui ne dedaigne pas d'etre tres
litteraire, fut envoyee la veille ou l'avant-veille du depart d'Alfred de
Musset. Il quitta Paris la derniere semaine d'aout, traversa Strasbourg le
28, et le 1er septembre, arrive a Baden, il adressa a George Sand un
nouvel hymne d'amour. En voici l'un des plus brulants passages:
"Ma chere ame, tu as un coeur d'ange... Jamais homme n'a aime comme je
t'aime. Je suis perdu, vois-tu, je suis noye, inonde d'amour; je ne sais
plus si je vis, si je mange, si je marche, si je respire, si je parle; je
sais que j'aime. Ah! si tu as eu toute ta vie une soif de bonheur
inextinguible, si c'est un bonheur d'etre aimee, si tu l'as jamais demande
au ciel, oh! toi, ma vie, mon bien, ma bien-aimee, regarde le soleil, les
fleurs, la verdure, le monde! Tu es aimee, dis-toi cela, autant que Dieu
peut etre aime par ses levites, par ses amants, par ses martyrs. Je t'aime,
o ma chair et mon sang! Je meurs d'amour, d'un amour sans fin, sans nom,
insense, desespere, perdu; tu es aimee, adoree, idolatree, jusqu'a mourir!
Et non, je ne guerirai pas. Et non, je n'essaierai pas de vivre; et j'aime
mieux cela, et mourir en t'aimant vaut mieux que de vivre. Je me soucie
bien de ce qu'ils diront. Ils diront que tu as un autre amant. Je le sais
bien, j'en meurs. Mais j'aime, j'aime, j'aime! Qu'ils m'empechent
d'aimer!"
Il est parti--il le confesse--dans un etat d'exaltation eperdue, apres
avoir tenu entre ses bras ce corps adore, apres l'avoir presse sur une
blessure cberie. Il emportait a ses levres le souffle des levres aimees,
et, comme il l'exprime tres poetiquement: "Je te respirais encore." Ce
baiser, il l'avait attendu cinq mois, dans une continuelle angoisse:
"Sais-tu ce que c'est pour un pauvre coeur qui a senti pendant cinq mois,
jour par jour,
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