evait-elle passer avant la question de justice!
Approuvant, au fond du coeur, ceux qui s'etaient souleves, m'etait-il
permis de paraitre les combattre? Si peu que je fusse, avais-je le droit
d'apporter mon concours a une oeuvre de repression que je blamais?
N'etait-ce point ainsi que se formaient des forces morales qui
entrainaient les faibles et noyaient les forts dans un deluge?
Tout ce qu'on peut se dire en pareille circonstance, je me le dis.
Longtemps je plaidai le pour et le contre. Puis enfin, l'esprit trouble
bien plus que convaincu, le coeur desole, je me decidai a obeir.
Mais, avant de quitter Marseille, je voulus faire savoir a Clotilde que
j'etais revenu pres d'elle. J'entrai chez un libraire et j'achetai un
volume, dans les pages duquel je glissai le billet suivant:
"J'esperais vous voir demain, chere Clotilde; mais a peine descendu de
diligence, on m'envoie dans le Var et dans les Basses-Alpes contre les
paysans insurges. Il me faut partir. Je n'ai que le temps de vous ecrire
ces quelques mots pour vous demander de penser un peu a moi et pour vous
dire que je vous aime. Je ne sais ce que l'avenir nous reserve, mais
je vous assure en ce moment que, quoi qu'il arrive, je vous adorerai
toujours. Quand nous nous reverrons, je vous expliquerai le sens des
tristes pressentiments qui m'ecrasent. Sachez seulement que je suis
cruellement malheureux, et que ma seule esperance est en vous, en votre
bonte, en votre tendresse."
Je portai le volume bien enveloppe et cachete a la voiture de Cassis,
puis je me hatai d'aller endosser mon uniforme. A l'heure convenue je
montais a cheval et partais de Marseille a la tete de mon detachement.
La route que nous primes etait celle que j'avais parcourue quelques mois
auparavant avec Clotilde, quand j'etais revenu pres d'elle de Marseille
a Cassis.
Combien j'etais loin de ce moment heureux! combien mes idees tristes et
inquietes etaient differentes de celles qui m'egayaient alors l'esprit
et m'echauffaient le coeur!
J'aimais cependant, et je me sentais aime; mais qu'allait-il advenir de
notre amour?
Si je n'avais pas aime Clotilde, si je n'avais pas craint de la perdre,
aurais-je accepte ce commandement?
Le premier pas dans la faiblesse et la lachete etait fait, ou
m'arreterais-je maintenant? Qui l'emporterait en moi: le coeur ou la
conscience?
XXXIV
Nous nous dirigions sur Brignoles, qui, disaient les rapports, etait en
pleine insurrection, ainsi que
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