s a plus ou moins grands pas
la raison individuelle; il donnait le signal redoutable auquel devaient
de siecle en siecle repondre tous les esprits opposants; il sonnait le
reveil de la liberte de penser.
Nous retrouverons ce caractere dans tonte sa theologie. Ici bornons-nous
a remarquer que le _Sic et Non_ peut etre regarde comme le point
de depart naturel de l'esprit d'examen applique a la theologie,
c'est-a-dire a la tradition ecrite des doctrines chretiennes. C'etait
en effet la mise en question du vrai sens de ces doctrines, et elle ne
pouvait avoir lieu que par l'examen contradictoire des autorites. Cette
opposition systematique des textes avait, dans un cercle plus restreint
et sous toutes reserves d'une soumission generale et implicite a
l'Ecriture, quelque chose du doute prealable de Descartes, quelque chose
des antinomies de Kant; c'etait un choix offert a la raison.
Abelard choisit; Pierre Lombard choisit aussi, et son livre n'est pas
sans analogie avec le _Sic et Non_. Il est fait sur le meme plan; nous
concevons qu'on lui ait dispute cet ouvrage, et qu'avant de connaitre
rien de plus que le titre de celui d'Abelard, on ait pu croire
quelquefois que Pierre Lombard le lui avait derobe[183]. On sait que
les _Quatre Livres des sentences_ sont divises en chapitre intitules
_Distinctions;_ c'est-a-dire que chaque question y est successivement
posee; puis les autorites et les arguments contraires sont presentes
sur chacune, et la solution est etablie presque toujours a l'aide d'une
distinction. Les citations sont souvent celles du _Sic et Non;_ cette
coincidence est naturelle, et d'ailleurs pourquoi Pierre Lombard
n'aurait-il pas pris ses citations dans le recueil de son maitre?
L'ordonnance du livre premier, qui roule sur la Trinite et la
Providence, est absolument celle de l'Introduction a la theologie;
et bien que le docte eveque evite et parfois combatte les opinions
contestables du philosophe, il se montre partout imbu de sa methode et
nourri de sa science.
[Note 183: "Putatur a P. Abaelarde confectum fuisse hoc opus, cui ille
per plagum surripuerit." (Morhof., _Polyhist._, t. II, c. XIV, t. II, p.
88.)]
Enfin cette maniere de proceder et de poser hardiment le pour et le
contre, sauf a conclure, devint la forme permanente de la theologie
scolastique. L'ecole dogmatique de forme comme de fond, celle qui
enseignait sans discuter, fut de moins en moins puissante et de moins
en moins ecoutee; et lorsque,
|