'epoque ou, delaissant Anselme de Laon,
il s'erigea definitivement en professeur de theologie. C'est, comme
l'a dit tres-bien M. Cousin, "la table des matieres de ses traites
dogmatiques de theologie et de morale[180]." Mais il peut avoir ete
termine beaucoup plus tard, et par sa nature c'etait un recueil qui
pouvait n'etre jamais acheve; aussi est-il permis de douter qu'il ait
jamais ete reellement publie. Guillaume de Saint-Thierry dit qu'on le
tenait cache[181]. Il pouvait etre connu des disciples d'Abelard, il
avait du leur etre communique, et son existence etait ainsi devenue
publique, sans qu'il en fut de meme de son contenu. Une telle
composition n'en devait paraitre que plus suspecte, et je ne m'etonne
pas que l'abbe de Saint-Thierry, en denoncant Abelard, rapporte des
passages de ses autres ecrits theologiques et cite seulement comme
monstrueux le titre du _Sic et Non_[182]. C'etait attacher a toute la
doctrine d'Abelard l'etiquette du scepticisme religieux.
[Note 180: _Introd._, p. CLXXXIX.]
[Note 181: "Nec etiam quaesita inveniuntur." (Guill. S. Theod., _ad
Gaufr. et Bern. Epist., Bibl. cist._, t. IV, p. 113.)]
[Note 182: "_Sic et Non, Scito te ipsum_ et alia quaedam, de quibus timeo
ne sicut monstruosi sunt nominis sic etiam sint monstruosi dogmatis."
(_Id., ibid._)]
Cependant un tel soupcon etait injuste. L'esprit d'examen, on le dit du
moins, peut conduire au scepticisme, mais il n'est pas le scepticisme,
et il n'y conduit pas toujours. Abelard etait chretien; il a pu tomber
dans l'erreur, mais non dans le doute, et s'il a, par ses raisonnements,
altere la foi, jamais il n'a pretendu l'affaiblir. Il se defiait
d'autant moins de sa methode, il la jugeait d'autant moins dangereuse
pour les convictions catholiques, qu'elle avait affermi les siennes, et
qu'en rendant sa foi plus lumineuse elle l'avait rendue plus solide. Son
orthodoxie seule peut etre mise en question.
Il est vrai cependant que l'esprit philosophique domine dans ses ecrits
l'esprit dogmatique, et qu'il y a professe hardiment le rationalisme,
au risque d'ebranler ce qui etait pour lui inebranlable. Charme de ses
idees, esclave de son raisonnement, il se rendait propre la foi commune
en la demontrant a sa mode, et elle lui devenait plus chere et plus
sacree, quand elle etait devenue sa doctrine personnelle: l'amour-propre
de l'auteur ajoutait a la conviction du fidele. Mais il ouvrait ainsi la
voie sans terme ou devait marcher desormai
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