Cet ouvrage est inconnu. Mais Othon de Frisingen
nous en a conserve le commencement, ou l'on voit que les questions
de dialectique avaient ete melees par les adversaires d'Abelard aux
questions de theologie, et ceux-ci ont accuse cet ouvrage d'une vivacite
et d'une violence qui auraient a la fois aggrave les torts de l'auteur
et empire sa situation[306]. Nous doutons qu'il ait ecrit avec
l'emportement qu'on lui reproche. En general, sa discussion etait alors
plus dedaigneuse que violente; mais c'etait bien assez pour offenser des
adversaires tres-serieusement persuades d'etre les defenseurs de Dieu.
[Note 306: Othon parait croire que l'apologie d'Abelard fut faite a
Cluni apres la decision du pape. Si c'est la confession de foi qui se
trouve dans les Oeuvres, elle n'etait pas de nature a provoquer de
vives repliques, et elle ne commence point par les mots qu'Othon nous a
conserves, et qui indiquent que les imputations d'heresie auraient ete
rattachees a quelque point de philosophie traite d'apres Boece. Elle
n'est pas l'apologie dont un adversaire d'Abelard dit: "Per apologiam
suam theologiam impejorat." Celle-ci est donc perdue. L'existence en est
attestee par Othon et par les citations curieuses que donne le censeur
inconnu dans une refutation attribuee faussement a Guillaume de
Saint-Thierry. Il faut que les editeurs de celle-ci l'aient lue avec peu
d'attention pour n'avoir par apercu qu'elle etait dirigee contre une
apologie tout autrement polemique que la declaration publiee par
d'Amboise et annexee par Tissier a la dissertation de Guillaume de
Saint-Thierry, et a celle de l'abbe anonyme qu'on croit etre Geoffroi
d'Auxerre. (Ott. Fris. _De Gest. Frid._, l. 1, c. XLIX.--_Disput anon.
abb. adv. P. Abael., Biblioth. cisterc._, t. IV, p. 239, 240, 242,
246.)]
Leurs reproches s'adressaient avec plus de justice a une autre apologie
qu'Abelard laissa publier par un de ses amis. Pierre Berenger
est l'auteur de cette defense, veritable invective contre saint
Bernard[307]. L'ouvrage est rempli de verve et d'audace. Au milieu des
longueurs, des puerilites, des plaisanteries grossieres que tolerait
le gout du temps, de ces citations innombrables, ornement oblige
d'un ouvrage destine aux gens instruits, on y trouve un vrai talent
satirique, un esprit libre et penetrant, quelquefois une argumentation
vive et des traits d'eloquence. C'est une Provinciale du XIIe siecle. On
ne saurait dire si Abelard y avait mis la main.
[No
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