la justice, sur la misericorde. Dans ces
circonstances, Raynard, abbe de Citeaux, vint a Cluni. On a suppose
qu'il y etait envoye par l'abbe de Clairvaux, qui, depositaire des
ordres du pape, hesitait a les executer avec eclat, ou redoutait le
voyage d'Abelard a Rome. Quoi qu'il en soit, l'abbe de Citeaux parla de
reconciliation, et Pierre entra vivement dans cette nouvelle idee. Tous
deux presserent Abelard. Mieux instruit peut-etre de sa vraie situation,
ou peut-etre use par l'age, brise par la maladie, decourage par
l'experience, il parut se laisser flechir. Jamais il n'avait pense a se
placer en dehors de l'Eglise, et le schisme de sa situation lui etait
reellement insupportable. Dans une telle disposition d'esprit, il dut
etre touche de cet aspect de charite paisible et de sainte indifference
que presentaient le venerable abbe et l'interieur de sa maison. Jamais
la piete n'avait abandonne son ame; il y laissa penetrer le calme et le
detachement. A la demande de Pierre et de quelques autres religieux, il
declara, comme au reste il l'avait souvent fait, rejeter tout ce
qui, dans ses paroles ou ses livres, aurait pu blesser des oreilles
catholiques, et il ecrivit une nouvelle apologie ou confession de
foi[332]. Il voulut bien meme suivre a Clairvaux l'abbe Raynard, dont la
mediation assoupit les anciens differends, et il dit a son retour que
saint Bernard et lui s'etaient revus pacifiquement[333]. On ne sait rien
de cette entrevue. Je ne doute pas de la clemence de saint Bernard; il
croyait reellement que c'etait a lui de pardonner.
[Note 332: _Ab. Op._, pars II, ep., xx, _apologia seu confessio_, p.
330.]
[Note 333: "Se pacifice convenisse revenus retulit." (_Id_.,
_Ibid_., pars II, ep. xxii, p. 336.)]
Si la confession de foi qui nous est restee est celle qui satisfit saint
Bernard, il etait bien revenu des exigences que lui inspirait naguere
sa clairvoyante severite. Comme l'apologie pour Heloise, la seconde
declaration d'Abelard, adressee a tous les enfants de l'Eglise
universelle, est chretienne; mais il n'y dement sur aucun point capital
les opinions emises dans ses ouvrages. Seulement il les desavoue dans la
forme absolue et outree que leur avaient donnee ses adversaires, ou bien
il repete sans commentaire ni developpement, la formule orthodoxe dont
on l'accuse de s'etre ecarte; mais il ne reconnait pas qu'il s'en
soit ecarte, ni que par consequent il l'entende desormais en un sens
contraire a ses ecrits.
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