_Histoire litteraire_, et sur les disciples
d'Abelard, Duboulai, _Hist. Univ._, t. II, catalog. Illust. vir., et
Brucker, _Hist. crit. phil._, t. III, p. 768.]
L'influence d'Abelard est des longtemps evanouie. De ses titres a
l'admiration du monde, plusieurs ne pouvaient resister au temps. Dans
ses ecrits, dans ses opinions, nous ne saurions distinguer avec justesse
tout ce qu'il y eut d'original, et nous sommes exposes a n'y plus
apprecier des nouveautes que les siecles ont vieillies. Mais pourtant
il est impossible d'y meconnaitre les caracteres eminents de cette
independance intellectuelle, signe et gage de la raison philosophique.
Charge des prejuges de son temps, comprime par l'autorite, inquiet,
soumis, persecute, Abelard est un des nobles ancetres des liberateurs de
l'esprit humain.
Ce ne fut pourtant pas un grand homme; ce ne fut pas meme un grand
philosophe; mais un esprit superieur, d'une subtilite ingenieuse, un
raisonneur inventif, un critique penetrant qui comprenait et exposait
merveilleusement. Parmi les elus de l'histoire et de l'humanite, il
n'egale pas, tant s'en faut, celle que desola et immortalisa son amour.
Heloise est, je crois, la premiere des femmes[363].
[Note 363:
Mes ge ne croi mie, par m'ame,
C'onques puis fust une tel fame.
_Roman de la Rose_, t. II, v. 213.]
Faible et superbe, temeraire et craintif, opiniatre sans perseverance,
Abelard fut, par son caractere, au-dessous de son esprit; sa mission
surpassa ses forces, et l'homme fit plus d'une fois defaut au
philosophe. Ses contemporains, qui n'etaient pas certes de grands
observateurs, n'ont pas laisse d'apercevoir cet orgueil imprudent,
disons mieux, cette vanite d'homme de lettres, par laquelle aussi il
semble qu'il ait devance son siecle. Les infirmites de son ame se firent
sentir dans toute sa conduite, meme dans ses doctrines, meme dans sa
passion. Cherchez en lui le chretien, le penseur, le novateur, l'amant
enfin; vous trouverez toujours qu'il lui manque une grande chose, la
fermete du devouement. Aussi pourrait-on, s'il n'eut autant souffert, si
des malheurs aussi tragiques ne protegeaient sa memoire, conclure enfin
a un jugement severe contre lui. Que sa vie cependant, que sa triste vie
ne nous le fasse pas trop plaindre: il vecut dans l'angoisse et mourut
dans l'humiliation, mais il eut de la gloire et il fut aime.
LIVRE II.
DE LA PHILOSOPHIE D'ABELARD.
CHAPITRE PREMIER.
DE LA PHILOSOPHIE
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