idees objectives. Encore est-ce une simple opinion que j'exprime, et la
these contraire a-t-elle ete soutenue par des philosophes qui ont donne
au langage une importance philosophique superieure a celle que je suis
dispose a lui reconnaitre.
J'ai parle tout a l'heure des substantifs abstraits; il y en a de
differentes sortes. Prenons ceux qui expriment substantivement ces
qualites qu'on nomme dans l'ecole les accidents de la substance,
comme la qualite d'etre _blanc, amer, mou,_ etc., ou _la blancheur,
l'amertume, la mollesse_, etc. Les abstractions de cette sorte ne
representent aucune substance reelle. Il y a des substances qui ont
diverses qualites, entre autres celle d'etre _molles, ameres_ et
_blanches_; il n'y a pas une chose qui soit substantiellement _la
blancheur, la mollesse, l'amertume_ en elle-meme. Lorsqu'on isole ces
accidents par la pensee et le langage, et que l'on en fait les sujets
de certaines propositions, quand on dit _la blancheur est agreable,
l'amertume est repugnante_, le sens commun avertit que ce sont des
sujets hypothetiques et artificiels dus au pouvoir generalisateur
de l'esprit; c'est une translation de l'adjectif au substantif, de
l'attribut au sujet, qui a peut-etre quelque analogie avec la propriete
translative ou metaphorique du langage, et qui n'a pas beaucoup plus
de realite que ces autres locutions, _le choc des opinions, le feu des
passions, l'explosion de la colere_. C'est une translation ou metaphore
d'un autre genre; la premiere rendait l'insensible par une comparaison
avec le sensible, ou l'invisible par une image; la seconde convertit
l'attribut en sujet et la qualite en substance. C'est un don, un
pouvoir, peut-etre une faiblesse de l'esprit humain, que d'operer ces
metamorphoses, mais la realite n'est guere interessee dans tout cela.
Dans ces termes, l'etude de cette classe de substantifs abstraits (celle
des substantifs qui repondent aux qualites accidentelles des etres)
n'est et ne doit etre qu'une etude de mots; et c'est savoir les choses
comme elles sont, que de savoir dans ce cas qu'elles ne sont pas
essentiellement comme les mots, ou que les mots ne sont que des mots.
Que si, par impossible, on croyait le contraire, et qu'abuse par les
apparences du langage, on fit jouer sans discernement a ces abstraits le
role des concrets individuels, que l'on prit les noms qui les designent
pour des noms directs, meme pour des noms propres, et qu'on supposat
des etres partout ou
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