philosophe paien, encore ennemi du nom
chretien, ne l'aurait pas embarrasse au sujet de l'unite de Dieu, que
ce pieux eveque confessait avec raison dans les trois personnes. Le
venerable prelat lui avait par ignorance concede d'une maniere absolue
cette regle que dans toute enumeration, si le singulier etait enonce
separement comme attribut de plusieurs noms, le pluriel l'etait
necessairement et collectivement des memes noms, laquelle regle est
fausse pour les noms qui designent une substance unique et une meme
essence; la saine croyance etant que le Pere est Dieu, que le Fils est
Dieu, que le Saint-Esprit est Dieu, et que cependant, il ne faut pas
reconnaitre trois Dieux, puisque ce sont trois noms qui designent une
meme substance divine[450]. Semblablement, quand on dit de Tullius qu'il
est appele un homme, et qu'on dit la meme chose de Ciceron et de Marcus,
Marcus, et Tullius, et Ciceron ne sont pas des hommes divers; puisque
ces mots designent une meme substance, et qu'il n'y a plusieurs etres
que pour la voix, non pour le sens. Si d'ailleurs cette comparaison
n'est pas rationnellement satisfaisante, parce qu'en Dieu il n'y a pas
qu'une seule personne comme en Marcus, cependant elle peut suffire pour
renverser la regle precitee.
[Note 450: C'est sous une forme grammaticale, la regle mathematique
si _a=x_, si _b=x_, si _c=x_, _a+b+c=3x_, dont les ennemis du
christianisme se sont tant servis contre le dogme de la Trinite. Je n'ai
pas su trouver dans saint Augustin l'anecdote qu'Abelard raconte ici.]
"Mais ils sont en petit nombre ceux a qui la grace divine daigne reveler
le secret de cette science, ou plutot le tresor d'une sagesse difficile
par sa subtilite meme. Plus elle est difficile, plus elle est rare;
sa rarete mesure son prix, et plus elle est precieuse, plus c'est un
exercice digne d'etude. Mais comme le long travail de cette science veut
une lecture assidue qui fatigue bien des lecteurs, comme son excessive
subtilite consume vainement leurs efforts et leurs annees, beaucoup,
se defiant de la science, et non sans raison, n'osent approcher de
ses portes les plus etroites. La plupart, troubles par sa subtilite,
reculent des le seuil. A peine ont-ils goute d'une saveur inconnue, ils
la rejettent; et comme en goutant ils ne peuvent distinguer la qualite
de cette saveur, ils tournent en accusation ce merite de subtilite,
et justifient la faiblesse reelle de leur esprit par une condamnation
mensongere de la scie
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