l'on a impose des noms, alors on retomberait dans
l'inconvenient tant signale de realiser les abstractions, on ferait
de l'ontologie dans le mauvais sens, on traiterait les mots comme des
choses, et c'est alors qu'on meriterait l'accusation de n'edifier qu'une
science de mots: accusation grave, parce qu'on aurait pretendu savoir
autre chose. Le tort serait precisement d'oublier ou d'ignorer qu'on ne
savait que des mots.
Une science de mots n'est donc pas mauvaise en soi; ce qui est mauvais,
c'est de prendre une science de mots pour une science de choses.
La scolastique, je le dis par avance, est plus d'une fois tombee
dans cette erreur. Lorsqu'on y tombe, il est evident qu'une foule
de questions oiseuses, de difficultes artificielles, doivent naitre
successivement, et amener des solutions, des distinctions, des
inductions, en un mot des connaissances purement hypothetiques ou
relatives uniquement a la signification arbitraire de la langue qu'on a
gratuitement imposee a la science. Mais cette faute que la scholastique
a tres-souvent commise, aucune philosophie, que je sache, ne l'a
constamment evitee.
En prenant des exemples dans la grammaire, je ne me suis pas beaucoup
eloigne de la scolastique. L'une a beaucoup d'affinite avec l'autre, et
l'on serait, dans certaines occasions, embarrasse de les distinguer;
ce qui deviendra plus evident, quand nous approcherons de plus pres la
philosophie du moyen age.
Ce fut une philosophie. Parmi les questions qui ont joue un role
philosophique, au moins dans l'antiquite, il en est peu que la science
du moyen age n'ait traitees et resolues a sa maniere. S'il est des
problemes que nous n'y retrouvons pas, ce sont en general ceux dont
le progres moderne de la science a revele l'existence ou retabli la
gravite; mais est-ce pour rien que nous voulons que l'esprit humain
ait, il y a deux ou trois siecles, subi une revolution? Entre autres
nouveautes, l'absolue liberte qui s'est introduite triomphalement dans
les sciences, ne doit-elle pas avoir amene et des idees et des questions
laissees jusqu'alors dans l'ombre ou dans le neant? Quoi qu'il en soit,
avant nous, chez les anciens, il y eut apparemment une philosophie. Je
n'egale pas la philosophie du moyen age a celle de l'antiquite; le nom
d'Abelard palit aupres de celui d'Aristote, et le soleil de Platon
offusque de sa splendeur l'etoile de saint Thomas; mais enfin je dis que
l'une de ces philosophies s'est occupee de presque tou
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