ien le juger sur des passages isoles ou sur
des temoignages qui n'etaient pas le sien. De la cette vue generale et
confuse de sa pensee et de son influence. Il etait plus celebre que
connu. Aujourd'hui le voile qui le couvrait est a demi leve; on peut
prouver que l'opinion etablie sur son compte n'est pas d'une parfaite
justesse; mais son influence toujours singuliere est plus explicable.
Il est evident desormais qu'il a fait plus qu'intervenir dans la
controverse des realistes et des nominaux, et qu'il n'y est pas tout a
fait intervenu de la maniere dont on le suppose. Sa trace dans cette
partie speciale de la science n'a d'ailleurs ete ni tres-profonde ni
tres-durable; mais son action sur l'enseignement et le mouvement de la
science entiere a penetre fort avant, et s'est continuee par ses effets
longtemps apres lui. Nul philosophe n'a plus fait parler de lui; nulle
philosophie n'est restee plus inedite.
Deux idees ressortent de tout ce qu'on lit sur Abelard philosophe: une
idee generale de l'epoque ou il a vecu, et de son importance parmi ses
contemporains; une idee particuliere de sa doctrine propre et de son
oeuvre personnelle. Il a professe la philosophie au XIIe siecle,
c'est-a-dire qu'il a enseigne cette philosophie qu'on est convenu de
nommer la scolastique; puis, avec les diverses doctrines scolastiques,
il a enseigne sur un point important un systeme qui a passe pour
son ouvrage; et ce systeme, les classificateurs l'ont rattache au
nominalisme, ou appele le conceptualisme. Pour connaitre Abelard comme
philosophe, il y aurait donc a connaitre deux choses: la scolastique de
son temps et la sienne.
En etudiant ces deux points, nous ne nous flattons pas de les epuiser.
La scolastique, ou, pour mieux parler, la philosophie, depuis Scot
Erigene jusqu'a Descartes, est tout un monde a explorer; vingt ans plus
tot j'aurais dit, a decouvrir. Quoique ce monde commence a etre moins
inconnu, il n'a pas cesse d'etre immense, et quelque gout bienveillant
que le moyen age inspire aux beaux esprits de notre epoque, nous n'en
abuserons pas au point de trainer le lecteur dans tous ces sentiers du
passe, ou regnent peut-etre aujourd'hui des brouillards moins epais,
mais dont aucune main ne saurait arracher les ronces et les epines.
Peut-etre en dirons-nous trop encore pour ceux qui ne sont que
mediocrement curieux, et qui aiment moins les details que les resultats.
Pendant longtemps, il n'a pas tenu aux ecrivains modernes qu
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