Apres cette declaration, il restait maitre
comme par le passe, de soutenir, s'il l'eut juge a propos, que ses
expressions, comprises suivant sa pensee, n'offraient pas le sens qu'on
leur pretait, ou demeuraient compatibles avec les termes consacres.
Apres cette declaration, il pouvait encore, au moyen de quelque
interpretation, soutenir qu'il n'avait pas change d'opinion. En un mot,
il s'exprime chretiennement, il ne se retracte pas. Pour ecrire cette
apologie, il a pu ceder a l'age, a la force, a la necessite; il a pu,
chose plus louable, obeir a l'amour de la paix, au respect de l'unite,
a l'interet commun de la foi. Mais j'oserais affirmer qu'il n'a pas
sacrifie une seule de ses idees a qui que ce soit au monde. Le coeur
d'Abelard pouvait ou faiblir, ou se soumettre; son esprit ne le pouvait
pas.
Au reste, il continue dans son apologie a se plaindre de la malice de
ses ennemis et des impostures dont il est victime[334]. Sur tous les
points dont on l'accuse, il atteste Dieu qu'il ne se connait aucune
faute, et s'il lui en est echappe dans ses ecrits ou dans ses lecons, il
ne les defend point, il se declare pret a tout reparer, a tout corriger,
n'ayant jamais eu ni arriere-pensee, ni mauvais dessein, ni opiniatrete.
[Note 334: Comme cette confession de foi accuse clairement, bien
qu'indirectement, ses adversaires de mensonge, elle a ete censuree assez
vivement par des auteurs modernes, et confondue avec cette apologie
anterieure dont j'ai deja parle et qui aurait ete plus violente que les
ouvrages meme qu'elle etait destinee a justifier. C'est ainsi qu'en
parait juger entre autres Tissier. (_Biblioth. pat, cister._, t. IV, p.
259.) Mais ce que nous savons de la premiere apologie ne permet pas
de la confondre avec la confession de foi, et ainsi en ont juge
d'excellents critiques. Si celle-ci a ete ecrite a Cluni, elle n'atteste
pas une reconciliation profondement sincere avec saint Bernard. (Cf.
_Hist. litt._, t. XII, p. 129 et 134.) Thomasius a etabli d'une maniere
assez specieuse qu'Abelard n'avait jamais au fond abandonne ses opinions
et qu'aide par Pierre de Cluni, qui tenait a honneur de le garder
dans son couvent, il avait donne a saint Bernard des satisfactions
apparentes. (_P. Ab. Vit._, chap. 70 et seqq.)]
Puis, s'expliquant directement ou indirectement sur dix-sept articles
releves des l'origine dans ses ecrits, il n'en laisse pas un seul, sans
se laver, au moins dans les termes, de toute trace d'heresie:
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