ute sa vie,
continuaient d'avoir un triple objet, la theologie, la philosophie et
l'erudition. Ce n'etait plus qu'une pure intelligence. Les passions
etaient aneanties ou condamnees au silence; et il ne restait plus
d'action dans sa vie que l'accomplissement des devoirs monastiques. Mais
s'il est vrai, comme il est permis de le croire, qu'il ait mis a Cluni
la derniere main a son grand traite de philosophie scolastique, nous
y lisons que meme alors il se regardait encore comme la victime de
l'envie, et que, sur de la puissance de son esprit, des ressources de
son savoir, de la duree de son nom, il confiait a l'avenir vengeur le
triomphe de la science opprimee dans sa personne. "Convaincu que c'est
la grace qui fait le philosophe, puisqu'il faut du genie pour la
dialectique," il se sentait comme predestine a la science, et
il ecrivait pour l'instruction des temps ou sa mort rendrait a
l'enseignement la liberte, heureux ainsi d'assurer apres lui la
renaissance de son ecole[338]. Tel etait l'homme dont l'humilite et la
soumission edifiaient Pierre le Venerable.
[Note 337: _Ab. Op._, pars II, ep. xxiii. p. 340.]
[Note 338: Voyez ci-apres I. II, c. iii, et Ouv. ined. d'Ab.,
Dialectique, p. 228 et 436. C'est une remarque de Thomasius, qu'Abelard
n'a efface d'aucun de ses ouvrages les opinions ni les passages qu'il
semblait avoir retractes. (_Ab. Vit._, Sec. 81.)]
Cependant ses forces declinaient rapidement, et une maladie de peau
tres-douloureuse, lui laissait peu de tranquillite. L'abbe Pierre exigea
qu'il changeat d'air, et l'envoya aupres de Chalons, dans le prieure de
Saint-Marcel, fonde par le roi Gontran, et possede par l'ordre de Cluni.
Cette maison s'elevait non loin des bords de la Saone, dans une des
situations les plus agreables et les plus salubres de la Bourgogne. La
il continua sa vie studieuse; malgre ses souffrances et sa faiblesse, il
ne passait pas un moment sans prier ou lire, sans ecrire ou dicter. Mais
tout a coup ses maux prirent un caractere plus alarmant; il sentit que
le dernier moment venait, fit en chretien la confession d'abord de sa
foi, puis de ses peches, et recut avec beaucoup de piete les sacrements
en presence de tous les religieux du monastere. "Ainsi, ecrit Pierre
le Venerable, l'homme qui par son autorite singuliere dans la science,
etait connu de presque toute la terre, et illustre partout ou il etait
connu, sut, a l'ecole de celui qui a dit: _Apprenez que je suis doux et
humble de
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