te tendre et eclairee l'inspirait, et son esprit
aimable autant qu'etendu, lui faisait admettre et comprendre ce qui
echappait au genie etroit de l'abbe de Clairvaux. Les lettres de Pierre
sont admirables par l'onction dans la raison. Tout, jusqu'a cette
intelligence des choses mondaines dans une juste mesure, jusqu'a cette
habile alliance d'une vie simple et pure avec l'emploi des richesses du
siecle, des tresors des arts, des moyens d'influence temporels, rappelle
involontairement, dans sa magnificence, sa grace et sa saintete,
l'immortel archeveque de Cambrai. Ce n'est faire tort ni a Pierre ni a
Bernard que de dire qu'il y eut en eux et meme entre eux quelque chose
qui fait penser a Fenelon et a Bossuet. "Vous remplissez les devoirs
"penibles et difficiles, qui sont de jeuner, de "veiller, de souffrir,"
ecrivait un jour Pierre a Bernard, "et vous ne pouvez supporter le
devoir facile "qui est d'aimer[331]."
[Note 331: "Quae gravia sunt faciunt; quae levia facere nolunt....
Servas, quicumque talis es, gravia Christi mandata, cum jejunas,
cum vigilas, cum fatigaris, cum laboras; et non vis levia ferre, ut
diligas." (_Bibl. Clun._, 1. VI, ep. IV, p. 897. Cette lettre a ete mise
a la date de 1149.) Saint Bernard etait fort superieur a Bossuet en
energie et en puissance de caractere; mais la nature de Bossuet etait
meilleure, plus equitable et plus douce.]
Tel etait l'homme que la Providence mit sur la route d'Abelard fugitif.
Ce n'etait ni comme lui un docteur audacieux, ni comme son rival un
moine dominateur; mais un prelat lettre et doux, pieux et liberal, qui
aimait la paix et qui savait l'etablir et la conserver. Il accueillit
Abelard avec un melange de compassion et de respect, et la triste
victime de tant de haineuses passions, y compris les siennes, rencontra
enfin ce qu'il n'avait guere trouve sur l'apre chemin de sa vie, la
bonte.
S'etant repose quelques jours a Cluni, il confia ses projets a l'abbe
Pierre. Il se regardait comme l'objet d'une injuste persecution, et
protestait avec horreur contre le nom d'heretique. Il raconta qu'il
avait fait appel au saint-siege, et qu'il allait se refugier au pied du
trone pontifical. On en a conclu qu'il ne savait pas encore, du moins
avec certitude, que son arret etait rendu. Pierre le Venerable approuva
son dessein, lui dit que Rome etait le refuge du peuple des chretiens,
qu'il devait compter sur une supreme justice qui n'avait jamais failli
a personne, et par dela
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