Rome court dans toute l'Eglise
gallicane. Ainsi est condamnee cette bouche, temple de la raison,
trompette de la foi, asile de la Trinite. Il est condamne, o douleur,
absent, non entendu, non convaincu. Que dirai-je, que ne dirai-je pas,
Bernard?....
[Note 311: "Caesarem appello.--Caesarem appellasti; ad Caesarem
ibis." (Act. XXV, 11 et 12.)]
"Malgre tout ce que la fureur intestine des haines conjurees, tout ce
qu'un orage de passions implacables et insensees pouvait lancer contre
Pierre, tout ce que pouvait comploter l'envie et l'iniquite, la froide
clairvoyance de la censure apostolique ne devrait jamais se laisser
endormir. Mais il devie facilement de la justice, celui qui dans une
cause craint l'homme plus que Dieu. Elle est vraie, cette parole d'une
bouche prophetique: _Toute tete est languissante.... De la plante des
pieds jusques au col, rien n'est sain en lui_[312].
[Note 312: Isai., l. 5 et 6.--Le texte dit de la plante des pieds
jusqu'au sommet de la tete, _usque ad verticem_. C'est peut-etre par
erreur que la citation de Berenger porte _cervicem_.]
"Il voulait, disent les fauteurs de l'abbe, corriger Pierre. Homme de
bien, si tu projetais de rappeler Pierre a la purete d'une foi intacte,
pourquoi, en presence du peuple, lui imprimais-tu le caractere du
blaspheme eternel? Et si tu cherchais a enlever a Pierre l'amour du
peuple, comment t'appretais-tu a le corriger? De l'ensemble de tes
actions, il ressort que ce qui t'a enflamme contre Pierre n'est pas
l'envie de le corriger, mais le desir d'une vengeance personnelle.
C'est une belle parole que celle du prophete: _Le juste me corrigera en
misericorde._ (Ps. CXL, 5.) Ou manque en effet la misericorde, n'est pas
la correction du juste, mais la barbarie brutale du tyran.
"Et sa lettre au pape Innocent atteste encore les ressentiments de son
ame: _Il ne doit pas trouver un refuge aupres du siege de Pierre, celui
qui attaque la foi de Pierre_[313]! Tout beau, tout beau, vaillant
guerrier; il ne sied pas a un moine de combattre de la sorte.
Crois-en Salomon: _Ne soyez pas trop juste de peur de tomber dans la
stupidite_[314]. Non, il n'attaque pas la foi de Pierre celui qui
affirme la foi de Pierre: il doit donc trouver un refuge aupres du siege
de Pierre. Souffre, je te prie, qu'Abelard soit chretien avec toi. Et si
tu veux, il sera catholique avec toi; et si tu ne le veux pas, il sera
catholique encore; car Dieu est a tous et n'appartient a personne[315].
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