mis
a dire s'il reconnaissait les ouvrages a lui attribues, s'il avouait,
desavouait, retractait, modifiait ou interpretait les articles qu'on
pretendait en avoir extraits, ni enfin a s'expliquer sur ses dogmes et
ses intentions; la preuve n'a donc jamais ete faite qu'il fut coupable
de malice, orgueil, opiniatrete, conditions indispensables de l'heresie;
car l'heresie est un crime et non pas une erreur. On concoit donc
jusqu'a un certain point sa securite. Cependant, comme il n'attendait
plus rien de la France, il resolut d'aller a Rome, afin de s'y defendre
s'il etait encore simple accuse, de se justifier s'il etait condamne
deja. Triste et souffrant, il partit pour Lyon, en faisant route par
la Bourgogne. L'age et les infirmites ralentissaient sa marche; il
sejournait dans les monasteres qu'il rencontrait sur son chemin. Une
fois, surpris, dit-on, par la nuit, il fut force de s'arreter a Cluni.
La maison de Cluni, situee non loin de Macon, etait une ancienne abbaye
de l'ordre de Saint-Benoit, fondee au commencement du Xe siecle par
Bernon, abbe de Gigny, et richement dotee par Guillaume Ier, duc
d'Aquitaine et comte d'Auvergne. Elle avait precede Citeaux et par
consequent Clairvaux, qui n'etait qu'une colonie de cette derniere
maison, et, comme on disait dans le cloitre, la troisieme fille de
Citeaux[325].
[Note 325: Cluni et Citeaux, tous deux de l'ordre de Saint-Benoit,
etaient cependant des chefs d'ordre. Les quatre demembrements de
Citeaux, appeles ses quatre filles, etaient les abbayes de La Ferte, de
Pontigni, de Clairvaux et de Morimond. La robe de Cluni etait noire,
celle de Citeaux blanche, excepte quand les moines sortaient de la
maison. Cette difference dans la couleur du froc joue un grand role
dans las demeles des clunistes et des cisterciens. (_Hist. des ordres
monastiques_, par le P. Heliot, t. V, c. xviii et xxxii.)]
Cluni etait ce qu'on appelle un chef d'ordre et un des monasteres les
plus renommes de la Gaule pour sa richesse et sa dignite. On vantait la
magnificence de son eglise, de ses batiments, de sa bibliotheque; et
l'hospitalite y etait exercee avec grandeur. Un esprit de paix et
d'indulgence, le gout des lettres et des arts meme regnaient dans cette
maison ou les biens du monde n'etaient point dedaignes et que des
religieux austeres accusaient de relachement. Les vives animosites qui
eclataient souvent entre les divers ordres, comme entre les couvents
du meme ordre, avaient, pendant un
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