, ce bruit de paroles, ce mouvement, cette agitation me
reconforterent. Je perdis la notion directe de ma douleur, et meme je
percus distinctement qu'il se passait quelque chose d'anormal et de
solennel. Une decision de premier ordre avait ete prise et, a la facon
dont on en parlait, je devinai que c'etait la un de ces evenements
historiques que plus tard l'on apprend en classe. Grand-pere etait
l'objet de mille temoignages d'honneur et de sympathie. On
l'entourait, on le felicitait, on lui prenait les mains, bien qu'il
resistat. Et, supreme faveur, on apporta du champagne. Du champagne,
un jour comme celui-la! Je commencai d'en etre ecoeure, d'autant plus
qu'on ne m'avait point donne de verre.
--Une coupe, --ordonna Martinod, ce cher Martinod qui decidement me
comblait, --une coupe au miochard.
Et il leva la sienne en l'air, d'un geste large en proclamant:
--A l'election du pere Rambert! a la victoire de la Republique!
--Bravo! approuva le fidele Galurin.
Glus et Merinos s'epanouissaient de bonheur: sans doute ils voyaient
s'ouvrir l'ere de la Beaute dont ils s'etaient entretenus devant moi
si souvent. Quant a Cassenave, il supportait des deux mains le poids
de sa tete, et, les yeux vagues, fixait peut-etre quelque vision. La
servante inclinant la bouteille sur son verre, il dut imaginer que
l'une des belles dames en robe Empire qui descendaient par le plafond
de sa mansarde pour lui donner a boire lui rendait publiquement visite
:
--Ziou, fit-il en se redressant.
Et devant la mousse qui montait, suivie du vin d'or, il fut pris d'un
frisson convulsif. Ses mains tremblantes ne reussirent pas a atteindre
la coupe, et il hoquetait de convoitise et d'impuissance.
Grand-pere, seul, manquait d'entrain et meme de gaiete. Sa mauvaise
humeur etait evidente. Il ne tenait point a la popularite, ni aux
acclamations. Tout ce monde qui ouvrait la bouche pour boire ou pour
crier le genait, l'enervait, et je crois qu'il eut prefere se trouver
ailleurs, a la campagne par exemple, a manger des fraises arrosees de
creme de lait. Cependant on le contraignait a ceder a l'enthousiasme
general.
--Apres tout, peut-etre bien, concedait-il. Surtout pas de tyrans. La
liberte.
Oh! non, pas de tyrans! Et je revis instantanement mon pere, sur le
seuil de la porte, chassant de son bras tendu ces pauvres diables de
bohemiens. Et, par maniere de protestation, je vidai ma coupe.
A ce moment precis, --je n'oublierai de ma vie ce
|