. Demain matin.
--Demain! repetai-je, comme si je n'avais pas entendu ou pas compris.
--Oui, demain. Vous voyez bien. On charge le materiel sur les
voitures. Les freres Marinetti nous ont laches: point de matinee
aujourd'hui, une belle recette perdue.
A ma profonde surprise, elle ne m'en voulait pas de son expulsion et
meme, jusque dans mon chagrin, je remarquai l'interversion inopinee
des roles: elle me temoignait une consideration nouvelle et je
prenais un vague petit air protecteur. A mon insu le prestige de la
force operait. Aussi ne me proposa-t-elle pas de l'aider quand, la
veille encore, elle n'y eut pas manque.
Une des megeres sortit de la plus prochaine roulotte sa longue tete
jaune et l'accusa de perdre son temps.
--On m'appelle, m'avertit Nazzarena. Ce qu'il y a d'ouvrage pour un
depart! Adieu, adieu, mon petit amoureux, je te souhaite une autre
bonne amie. Tu es zentil, tu la trouveras.
Elle ne me tendit pas la main, et peut-etre n'osa-t-elle pas, a cause
du respect qui lui etait venu depuis qu'elle avait vu la maison. Et
moi, je ne trouvais rien a lui repondre. Niaisement je souris a ses
etranges voeux qui me paraissaient abominables et sacrileges, et le
tutoiement qu'elle avait employe me fut en meme temps doux comme une
caresse. Son depart m'atterrait. Son depart me coupait bras et jambes
et me vidait la cervelle. Je restais la, comme un paquet. Pour moi, le
temps ni le lieu ne comptaient plus: elle partait. Je l'apercus qui,
plus loin, portait peniblement le harnachement de son cheval. Elle
m'adressa un petit signe avant de disparaitre derriere une des
guimbardes. J'eus la sensation qu'elle etait deja loin de moi, et je
reussis a m'en aller.
Ou irais-je? Confondant la durete de ma famille et l'exil de
Nazzarena, je ne songeais pas a rentrer chez nous. Quel appui, quelle
consolation y aurais-je rencontres? Mon pere m'avait defendu de sortir
: je pouvais prejuger l'accueil qui m'attendrait. J'errai dans la rue,
parmi les promeneurs endimanches, heurtant dans ma distraction l'un ou
l'autre qui me traitait de maladroit ou de malotru, ce qui m'etait
presque agreable, tant j'avais besoin de changer le cours de ma peine.
D'un pas automatique, et sans etre le maitre de ma direction, je
parvins au Cafe des Navigateurs. Grand-pere me comprendrait, grand-
pere me representait le salut auquel ce cher Martinod collaborerait.
La salle etait bondee, et tout de suite cette atmosphere de tabac et
d'anis
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