inaire.
Je fus outre d'une si rapide et si complete debacle. Moi seul,
puisqu'il en etait ainsi, je resisterais a cette autorite que nul ne
bravait en face. Et dans mon enthousiasme enfin retrouve, je me
precipitai dans l'escalier et degringolai les marches quatre a quatre,
au risque de me carabosser, pour rejoindre mon cher amour.
--Ou vas-tu? me dit mon pere qui n'avait pas encore quitte son poste
et me barrait la route.
Je gardai le silence. Deja mon exaltation tombait.
--Remonte au plus vite, acheva-t-il, je te defends de sortir.
Sans broncher, mais gonfle de colere et me rongeant les poings, je
repris l'escalier. Personne donc ne lui resisterait jamais? Comme les
autres j'etais vaincu immediatement, subjugue, meduse, rien que pour
l'avoir affronte. On croit qu'il est facile de se revolter contre le
pouvoir: j'apprenais que cela depend des gouvernements. Et je
ressassai et remachai les insinuations de Martinod dont je constatais
la sincerite. Celui-la voyait clair, celui-la se revelait un veritable
ami.
Cependant je ne cedai qu'en apparence. A peine avais-je reintegre la
tour que je guettai sournoisement le bruit des portes. Lorsque je fus
assure que mon pere avait regagne son cabinet et que la voie etait
libre, je redescendis a pas de loup et me glissai hors de la maison.
La grille franchie, anime d'un courage nouveau, je respirai mieux et
me redressai. Cette fois, il ne s'agissait plus de biaiser, de ruser,
de donner le change aux promeneurs. Je courus tout droit a la place du
Marche. Devant la foule des dimanches qui s'amusait du demenagement,
les bohemiens roulaient les toiles de la tente, empilaient les bancs
les uns sur les autres. J'augurai mal de cette levee de camp. Enfin
j'apercus Nazzarena qui ramassait des ustensiles epars. L'heure
n'etait plus a la timidite, mais aux resolutions heroiques. Devant
tant de spectateurs, dont un grand nombre, sans doute, connaissait le
petit Rambert, tel un chevalier de mes ballades, je m'elancai vers mon
amie. Quand elle m'apercut, elle me jeta un regard navre.
--On nous a chasses de chez vous, m'expliqua-t-elle avant que j'eusse
parle.
Que repondre a cette douloureuse constatation? Sans doute elle me
rangeait parmi ses persecuteurs.
--Ce n'est pas moi, criai-je pour me separer des miens sans retard.
--Oh! reprit-elle avec philosophie, c'est bien sur que ce n'est pas
vous. Vous etes trop petit. On allait prevenir votre grand-papa qu'on
s'en va demain
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