piedestal." Au milieu de cette page de noble allure, elle insinue une
question qui a tout l'air, sous sa forme prudente, d'etre un plaidoyer
_pro domo_. "Crois-tu donc qu'un amour ou deux suffisent pour epuiser et
fletrir une ame forte? Je l'ai cru aussi pendant longtemps, mais je sais a
present que c'est tout le contraire. C'est un feu qui tend toujours a
monter et a s'epurer." Ainsi sa doctrine--et sa pratique--consiste a
multiplier les foyers d'incendie. Elle y trouvera des points de
comparaison et decidera, sur le tard, lequel fut le plus lumineux. Il faut
aimer, a son ecole, jusqu'en l'arriere-saison, par dela l'automne et l'ete
de la Saint-Martin, meme en hiver. "C'est peut-etre, dit-elle, l'oeuvre
terrible, magnifique et courageuse de toute une vie. C'est une couronne
d'epines qui fleurit et se couvre de roses quand les cheveux commencent a
blanchir." Or, voici en quels termes elle encourage a la recidive, a la
perseverance opiniatre, ceux qui du premier coup n'ont pas eu la main
heureuse: "Peut-etre que plus on a cherche en vain, plus on devient habile
a trouver; plus on a ete force de changer, plus on devient propre a
conserver. Qui sait?" C'est la theorie du mouvement perpetuel. C'est
l'apologie de la prodigalite sentimentale. Si l'on n'a pas gagne a la
loterie, il faut prendre de nouveaux billets, jusqu'a ce que l'escarcelle
soit vide. Est-ce prudent? Mais elle invoque comme autorite Jesus disant a
Madeleine: "Il te sera beaucoup remis, parce que tu as beaucoup aime." Et
elle compte sur le meme traitement.
Ses conseils litteraires valent mieux que ses exhortations douteusement
morales. "Aime et ecris, dit-elle a Alfred de Musset, c'est ta vocation,
mon ami. Monte vers Dieu sur les rayons de ton genie et envoie ta muse sur
la terre raconter aux hommes les mysteres de l'amour et de la foi." Tandis
qu'elle l'incite de la sorte a l'ascension des sommets qui se perdent dans
la nue, elle goute a Venise le placide et bourgeois amour de Pagello.
Aucune de ses souffrances ne lui vient de l'honnete et consciencieux
medecin, tres applique a tous ses devoirs professionnels. En dehors de
l'exactitude, il temoigne meme de delicates attentions d'amoureux pauvre,
mais enflamme: "N'ayant pas une petite piece de monnaie pour m'acheter un
bouquet, il se leve avant le jour et fait deux lieues a pied pour m'en
cueillir un dans les jardins des faubourgs. Cette petite chose est le
resume de toute sa conduite. Il me sert, il me porte
|