hurler. Froidement, sans
hate, en relevant d'une main sa robe qui eut pu trainer dans la boue, le
moine se mit aussi en marche. Seulement, a chaque pas qu'il faisait, il
levait la discipline et la laissait tomber a toute volee sur les epaules
de l'homme qui bondissait a tort et a travers, mais ne cherchait pas a
entrer en lutte avec le terrible moine.
On eut dit d'un dompteur fouaillant un fauve grondant, menacant, mais
n'ayant pas le courage de se jeter, gueule et griffes ouvertes, sur son
bourreau.
Tres rapidement, la victime, epuisee deja par les jets d'eau recus,
tomba de nouveau sur le sol. Implacablement, le moine continua de la
fustiger jusqu'a ce qu'il vit qu'elle etait evanouie. Alors, il attacha
sa discipline a sa ceinture, retroussa sa robe et, sans s'inquieter de
l'homme, il sortit posement, comme il etait entre.
Tandis que le moine, qui avait deja ouvert le volet, s'occupait a le
refermer, d'Espinosa expliquait avec une froide indifference:
--Ceci est un supplice plus terrible peut-etre que tous ceux que vous
venez de voir. L'homme que nous quittons, de son vivant, etait duc et
grand d'Espagne. Le crime qu'il a commis meritait un chatiment special.
L'homme a ete discretement enleve et conduit ici... comme vous. On lui
a fait boire d'une certaine potion preparee par un reverend pere de ce
couvent. Ce breuvage agit sur le cerveau qu'il engourdit. Au bout d'un
certain temps, celui qui a eu le malheur d'en avaler une dose suffisante
sent son intelligence s'obscurcir. Alors, nous soumettons le condamne a
un regime special.
--Tout d'abord, on l'enferme dans un cachot que je n'ai pu vous faire
voir, attendu qu'il n'y en a aucun d'occupe en ce moment. Au bout de
quelques jours, le condamne est a peu pres fou. Quelques-uns sortent de
la completement fous et inoffensifs. D'autres, au contraire, ont parfois
encore des eclairs de lucidite et sont dangereux. Alors, nous les
mettons dans le cachot que vous venez de voir et, quand ils ont subi
durant quelques semaines le traitement de ce pauvre duc, c'est fini.
Ils sont irremediablement fous. Alors, ils ne connaissent plus que
leur gardien, dont ils ont une peur incroyable, et nous pouvons, sans
crainte, adoucir un peu leur sort en les laissant vivre en commun et au
grand air, dans la cage que vous voyez.
Tout en donnant ces explications de cet air effroyablement calme,
qui lui etait habituel, d'Espinosa conduisait Pardaillan, secoue
d'indignation, Pardailla
|