llan, sans chercher d'ailleurs a eviter le coup.
Le bras du moine retomba doucement sans frapper. Il hocha la tete en le
regardant, toujours avec la meme attention curieuse, et murmura:
"Il est inutile de le prevenir que je lui apporte sa pitance d'un jour:
il ne comprendrait pas. Il est inutile de le frapper, c'est un enfant
inoffensif."
Et il sortit.
Pardaillan resta longtemps sans bouger, dans le coin ou il s'etait
refugie. Peu a peu, il se risqua, ecarta son bras, et, ne voyant plus
personne, rassure, il reprit son jeu avec le pan de son manteau.
Deux fois, le moine se presenta ainsi pour renouveler ses provisions.
Chaque fois, la meme scene se produisit. La troisieme fois, le moine
etait accompagne d'Espinosa. Et, cette fois encore, Pardaillan montra la
meme terreur enfantine.
"Vous voyez, monseigneur, fit le moine, c'est toujours ainsi. Le sire de
Pardaillan n'existe plus, c'est maintenant un enfant faible et peureux.
De toutes les secousses qu'il a recues, et aussi grace a mon philtre, il
ne reste plus qu'un sentiment vivant en lui: la peur. Son intelligence
remarquable: abolie. Sa force extraordinaire: detruite. Regardez-le!
Il ne peut meme pas se tenir debout. C'est miracle vraiment qu'il soit
encore vivant.
--Je vois, dit paisiblement d'Espinosa. Je connaissais la puissance
devastatrice de votre poison. J'avoue cependant que je redoutais qu'il
ne produisit pas tout l'effet desirable. C'est que le sujet sur
lequel nous avions a l'appliquer etait doue d'une constitution
exceptionnellement vigoureuse. Vous avez trouve la quelque chose de
vraiment remarquable.
Pendant cet entretien, Pardaillan, refugie dans son coin, le visage
enfoui dans son bras, secoue de tremblements convulsifs, gemissait
doucement. Et le grand inquisiteur et le moine savant parlaient et
agissaient devant lui comme s'il n'eut pas existe.
--Pour ce que j'ai a lui dire, reprit d'Espinosa, apres un silence passe
a considerer froidement le prisonnier de l'Inquisition, j'ai besoin
qu'il retrouve un moment l'intelligence necessaire pour me comprendre.
--J'etais prevenu, dit le moine avec une paisible assurance, j'ai
apporte ce qu'il faut. Quelques gouttes de la liqueur contenue dans
ce flacon vont lui rendre ses forces et son intelligence. Mais,
monseigneur, l'effet de cette liqueur ne se fera sentir guere plus d'une
demi-heure.
--C'est plus qu'il m'en faut pour ce que j'ai a lui dire.
Le moine, sans s'attarder davantage,
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