jusqu'au bout, la mission que je m'etais donnee: arracher au
roi Philippe ce document qui lui livrait la France, mon pays. Vous,
monsieur, etes-vous sur qu'il en soit de meme pour vous?
--Que voulez-vous dire? haleta d'Espinosa, qui se redressa comme s'il
avait ete pique par un fer rouge.
--Ceci que je vous ai entendu dire a vous-meme: le grand inquisiteur ne
saurait mourir avant d'avoir mene a bien la tache qu'il s'est imposee
pour le plus grand profit de notre sainte mere l'Eglise.
--Demon! rugit d'Espinosa, douloureusement atteint dans ce qui lui
tenait le plus au coeur.
--Vous voyez donc bien, continua Pardaillan, implacable, que nous ne
sommes nullement loges a la meme enseigne. Je m'en irai sans regret.
Vous, monsieur, vous mourrez desespere de laisser votre oeuvre
inachevee. Ceci dit, monsieur, j'attendrai que vous reveniez vous-meme
sur ce sujet. Quant a moi, je suis resolu a ne plus vous en parler.
Quand vous serez decide, vous me le direz. Bonsoir!
Et Pardaillan, sans plus s'occuper de d'Espinosa, s'accota contre le
mur, s'arrangea le mieux qu'il put avec son manteau et parut s'endormir.
D'Espinosa le considera longuement, sans faire un mouvement. La pensee
de sauter sur lui a l'improviste, de lui arracher la dague, de le
poignarder avec et de s'enfuir ensuite l'obsedait. Mais il se dit qu'un
homme comme Pardaillan ne se laissait pas surprendre aussi aisement.
Il renonca donc a cette idee, qu'il reconnaissait impraticable. Mais en
ecartant cette idee il lui en vint une autre. Pourquoi ne profiterait-il
pas du sommeil apparent ou reel de Pardaillan pour ouvrir la
porte secrete et d'un bond se mettre hors de toute atteinte? En y
reflechissant bien, ceci lui parut peut-etre realisable. C'etait une
chance a courir. Que risquait-il? Rien. S'il reussissait, c'etait sa
delivrance et la mort certaine de Pardaillan.
Que fallait-il pour cela? Ramper un instant dans une direction opposee
precisement a celle ou se trouvait Pardaillan.
Ayant decide de tenter l'aventure, avec des precautions infinies, il se
mit en marche. Il avait avance de quelques pieds et commencait a esperer
qu'il pourrait mener a bien sa tentative, lorsque Pardaillan, sans
bouger de sa place, lui dit tranquillement:
--Je sais maintenant dans quelle direction il me faudra chercher la
sortie... quand vous aurez cesse de vivre. Mais, monsieur, votre
compagnie m'est si precieuse que je ne saurais m'en passer. Veuillez
donc venir vous
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