Alors, Pardaillan se tourna vers Centurion. Il sentait que, celui-la,
comme Barba Roja, agissait pour son compte personnel. Celui-la avait
aussi une haine a satisfaire.
Ce ne fut pas long. D'un coup de pointe, il atteignit Centurion a
l'epaule, d'un coup de revers il enleva une partie de la joue de
Barrigon, qui le serrait de trop pres.
Il y eut un double hurlement suivi d'une double chute, et Pardaillan
n'eut plus devant lui que les treize, lesquels, se battant uniquement
pour gagner honnetement l'argent qu'on leur donnait, etaient loin de
montrer la meme ardeur que les trois chefs qui venaient d'etre mis hors
de combat.
--A qui le tour? lanca Pardaillan d'une voix tonnante. Qui veut tater de
Giboulee?
Et aussitot deux hurlement attesterent que deux hommes avaient tate de
Giboulee.
Les treize, en effet, avaient eu cette supreme pudeur de tenter--pour
la forme--une illusoire resistance. Lorsqu'ils entendirent le double
hurlement de douleur de deux des leurs, ils etaient deja prets a lacher
pied.
Pour comble de malchance, voici qu'a cet instant precis des
glapissements aigus se firent entendre sur leur flanc. Et quelque chose,
ils ne savaient quoi, un etrange petit animal, quelque petit demon,
suppot de ce grand diable, sans doute, qui n'arretait pas de pousser des
cris percants qui leur dechiraient les oreilles, se glissa entre leurs
jambes et, partout ou cette fantastique et insaisissable petite bete se
faufilait ainsi, un combattant atteint soit au mollet, a la cuisse ou
au ventre, jamais plus haut, poussait un hurlement ou la terreur
superstitieuse tenait autant de place que la douleur reelle, et, sans
demander son reste, le blesse, reunissant toutes ses forces, se hatait
de tirer au large, se defilant de son mieux le long des bas-cotes du
sentier.
En moins de temps qu'il n'en faut pour l'ecrire, la place se trouva
deblayee.
Sur le champ de bataille, il ne restait que le cadavre de Barba Roja et
les corps evanouis, ou morts, de Barrigon et de Centurion, tombes non
loin de la Giralda.
XXII
L'AVEU DU CHICO
Alors, Pardaillan partit d'un long eclat de rire, et, s'adressant a ce
diablotin qui avait seme la panique dans la troupe des spadassins, et
continuait a pousser des clameurs aigues, entrecoupees d'eclats de
rire sardoniques, et se demenait en brandissant une longue aiguille a
tricoter et contrefaisait les contorsions et les grimaces des vaincus
blesses et fuyant, tels des lievres:
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