asseoir ici pres de moi.
Et sur un ton rude:
--Et n'oubliez pas, monsieur, qu'au moindre mouvement suspect de votre
part, je serai oblige, a mon grand regret, de vous plonger ce fer dans
la gorge. Nous sortirons d'ici ensemble, et je vous ferai grace de la
vie, ou nous y resterons ensemble jusqu'a votre mort!
D'Espinosa se mordit les levres jusqu'au sang. Une fois de plus, il
venait de se laisser duper par ce terrible jouteur. Sans dire un mot,
sans essayer une resistance qu'il savait inutile, il vint s'asseoir pres
de Pardaillan, ainsi que celui-ci l'avait ordonne, et muet, farouche, il
se plongea dans ses pensees.
La situation etait terrible. Mourir pour lui n'etait rien, et il etait
resolu a accepter la mort plutot que delivrer Pardaillan. Mais ce qui
lui broyait le coeur, c'etait la pensee de laisser son oeuvre inachevee.
Par un incroyable et fabuleux renversement des roles, lui, le chef
supreme, dans ce couvent ou tout etait a lui: choses et gens, ou tout
lui obeissait au geste, il etait le prisonnier de cet aventurier qu'il
croyait tenir dans sa main puissante, et qui maintenant pouvait d'un
geste detruire, avec sa vie, tout ce qu'il representait de puissance, de
richesse, d'autorite, d'ambition.
Oui, ceci etait lamentable et grotesque. Quel effarement dans le
monde religieux lorsqu'on apprendrait que Inigo d'Espinosa,
cardinal-archeveque de Tolede, grand inquisiteur, avait mysterieusement
disparu au moment ou, un nouveau pape devant etre elu, tous les yeux
etaient tournes vers lui, attendant qu'il designat le successeur de
Sixte-Quint. Quelle stupeur lorsque l'on saurait que cette disparition
coincidait avec une visite faite a un prisonnier, dans un des cachots de
ce couvent San Pablo ou tout lui appartenait!
Telles etaient les pensees que ressassait d'Espinosa dans son coin.
Pardaillan ne paraissait pas s'occuper de lui. Mais d'Espinosa savait
qu'il ne le perdait pas de vue et qu'au moindre mouvement il le verrait
se dresser devant lui.
Il n'avait d'ailleurs aucune velleite de resistance. Il commencait a
apprecier son adversaire a sa juste valeur et sentait confusement que
le mieux qu'il eut a faire etait de s'abandonner a sa generosite; il en
tirerait certes plus d'avantages qu'a tenter de se soustraire par la
force ou par la ruse.
Apres s'etre dit qu'il consentait a la mort pourvu que Pardaillan
mourut avec lui, il avait fait le compte de ce que lui couterait cette
satisfaction, et en res
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