s'approcha du prisonnier qui
redoubla de gemissements, mais ne fit pas un geste pour eviter
l'approche de celui qui l'effrayait a ce point.
Avec autorite, le moine saisit le coude, ecarta le bras, mit le visage
de Pardaillan a decouvert, sans que celui-ci opposat la moindre
resistance, fit autre chose que de continuer a gemir doucement. Le moine
ecarta les levres et approcha son flacon. Il allait verser la liqueur,
prealablement dosee, lorsque, posant sa main sur son bras, d'Espinosa
l'arreta en disant:
--Faites attention, mon reverend pere, que je vais rester en tete-a-tete
avec le prisonnier. Cette liqueur doit lui rendre sa vigueur,
dites-vous, il ne faudrait pourtant pas que je sois expose...
--Rassurez-vous, monseigneur, fit respectueusement le moine, le
prisonnier retrouvera, pour quelques jours, sa vigueur primitive. Mais
son intelligence sera a peine galvanisee. L'idee ne lui viendra pas de
faire usage de sa force redoutable. Il restera ce qu'il est maintenant:
un enfant craintif. J'en reponds.
Et, sur un geste d'autorisation, il vida le contenu d'un minuscule
flacon entre les levres du prisonnier qui, d'ailleurs, n'opposa aucune
resistance, et, se redressant:
--Avant cinq minutes, monseigneur, le prisonnier sera en etat de vous
comprendre... a peu pres, dit-il.
--C'est bien, dit le grand inquisiteur. Allez, fermez la porte a
l'exterieur et remontez sans m'attendre.
--Et monseigneur? dit-il respectueusement.
--Ne vous inquietez pas, sourit d'Espinosa, je sais le moyen de sortir
de ce cachot sans passer par cette porte.
Sans plus insister, le moine s'inclina devant son chef supreme et obeit
passivement a l'ordre recu. D'Espinosa, sans manifester ni inquietude ni
emotion, entendit les verrous grincer a l'exterieur, avec ce calme qui
ne l'abandonnait jamais. Il se tourna vers Pardaillan et, a la lueur
blafarde d'une lampe que le moine avait posee a terre, il se mit a
etudier curieusement l'effet produit par la liqueur qu'on lui avait fait
absorber. Galvanise par le remede violent, le prisonnier parut retrouver
une vie nouvelle.
Tout d'abord, il fut secoue d'un long frisson, puis son torse affaisse
se redressa lentement. Comme s'il avait ete, jusque-la, oppresse jusqu'a
la suffocation, il respira longuement, bruyamment, le sang afflua a ses
pommettes livides, l'oeil morne, eteint, retrouva une partie de son
eclat, laissa percevoir une vague lueur d'intelligence. Et il se
redressa, se mit sur s
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