de toute necessite, reparer ses forces
affaiblies par un long jeune..
Evidemment, la menace du poison restait toujours suspendue sur sa tete.
Mais quoi? Il fallait cependant bien en finir d'une maniere ou d'une
autre. C'etait un risque a courir, il le savait bien: il le courrait,
voila tout.
Au surplus, rien ne prouvait que, devant son obstination, d'Espinosa ne
renoncerait pas au poison pour chercher autre chose.
Lorsqu'ils eurent enfin amene leur prisonnier a s'asseoir devant son
couvert, Bautista et Zacarias se dirent que le plus fort etait fait
et que cet homme extraordinaire ne saurait, cette fois, resister aux
tentations accumulees sur cette table.
Avec des precautions minutieuses, ils saisirent chacun un flacon et
verserent, l'un d'un certain vin de Beaune que les annees de bouteille
avaient pali a tel point que, du rouge initial, il etait passe au rose
efface; l'autre, d'un certain xeres qui, dans le cristal limpide,
ressemblait a de l'or en fusion. Et, en faisant cette operation avec
toute la devotion desirable, ils tiraient la langue, tels deux chiens
alteres. Quand les deux verres furent pleins, ils les saisirent
doucement par le pied, les souleverent beatement, devotieusement, comme
ils eussent souleve l'hostie consacree, et tendirent chacun le sien.
--C'est du velours, dit onctueusement Bautista, en clignant des yeux.
--Du satin, ajouta Zacarias d'un air non moins penetre.
--Mes dignes reverends, fit tranquillement Pardaillan, croyez-moi, le
mieux est de cesser cette lamentable comedie.
--Comedie! protesta Bautista; mais, mon frere, ce n'est point une
comedie.
--C'est l'ordre, comme dit si bien frere Zacarias. Oui?... En ce cas,
allez-y, harcelez-moi... Mais je vous ai prevenus: je ne toucherai a
rien de ce que vous m'offrirez.
--Qu'a cela ne tienne! s'ecria vivement Bautista qui, tout borne qu'il
fut, ne manquait pas d'a-propos. Choisissez vous-meme.
En disant ces mots, il posait delicatement le verre sur la table, et,
d'un geste large, il designait les flacons ranges en bon ordre.
Les deux moines faillirent se trouver mal.
De cette lutte extraordinaire quoique bizarre, Pardaillan sortit
vainqueur, mais aneanti, brise, et, des qu'il eut reintegre sa cellule,
il tomba sans forces dans son fauteuil. Une journee de fatigues
physiques les plus dures l'eut moins fatigue que l'effort moral enorme
qu'il venait de faire.
Il ne faut pas oublier qu'il y avait trois longs jours qu'il n
|