gardiens ordinaires.
--Je veux manger, fit brutalement Pardaillan. A moins que vous n'ayez
resolu de me laisser crever de faim, auquel cas je vous prierai de me le
faire savoir.
--Vous voulez manger! fit la voix sur un ton de surprise manifeste. Et
qui vous en empeche? N'avez-vous pas tout ce qu'il vous faut dans votre
chambre?
--Je n'ai rien, mort de tous les diables! Et c'est pourquoi je vous
demande de me dire si vous avez resolu de me laisser perir de faim!
--Vous laisser mourir de faim, bonte divine! Y pensez-vous? Les freres
Zacarias et Bautista ont du garnir votre table, je presume.
--Je n'ai rien, vous dis-je, gronda Pardaillan, qui se demandait si on
ne se moquait pas de lui, pas le plus petit morceau de pain, pas une
goutte d'eau.
--Ah! mon Dieu!... les deux etourdis vous ont oublie!
La voix paraissait sincerement navree. Quant a etudier la physionomie
pour se rendre compte si on ne jouait pas la comedie, il ne fallait
guere y songer. A travers les etroites lamelles de cuivre et dans la
demi-obscurite d'un couloir eclaire par quelques veilleuses, l'oeil
percant de Pardaillan lui-meme ne percevait guere que des contours
indecis.
--Enfin, s'ecria-t-il, comment se fait-il que je ne les aie pas vus
aujourd'hui?
--Ils ont demande et obtenu la permission de sortir du couvent. Oh! pour
la journee seulement! Mais on pensait qu'ils auraient eu la precaution
de vous fournir les provisions necessaires a la journee avant de
s'absenter. Ah! si monseigneur apprend de quelle negligence ils se sont
rendus coupables... je ne voudrais pas etre a leur place... Mais vous,
monsieur, pourquoi avoir attendu si longtemps? Pourquoi n'avoir pas
prevenu des le dejeuner? On vous aurait servi a l'instant... Tandis que,
a present...
--A present? fit Pardaillan.
--A present, tout dort au couvent, le pere pitancier comme les autres.
Impossible de vous donner la moindre des choses. Quel malheur!
--Bah! fit Pardaillan, qui commencait a se rassurer, un jour
d'abstinence de plus ou de moins, je n'en mourrai pas. Si j'avais
seulement un peu d'eau pour humecter mes levres. Enfin, n'en parlons
plus. J'attendrai jusqu'a demain... si toutefois il est bien vrai qu'on
n'ait pas decide de me laisser mourir de faim.
Le lendemain, a l'heure du petit dejeuner, toujours pas de moines. Et
Pardaillan se demanda si, apres l'avoir assomme de prevenances, apres
l'avoir accable d'une profusion de mets delicats, alors qu'il etait
res
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