olu a ne rien prendre, on n'allait pas, maintenant, lui laisser
indefiniment tirer la langue. Enfin, a l'heure du grand dejeuner, les
deux gardiens parurent, et, avec des mines lugubres, annoncerent que
"les viandes de monsieur le chevalier etaient servies".
Pardaillan commencait a si bien desesperer qu'il leur fit repeter
l'annonce, croyant avoir mal entendu. Certain que le repas l'attendait,
et qu'avec ce repas son sort serait definitivement regle, il retrouva
son calme et son assurance. Souriant de la mine piteuse des deux moines
qui, pensait-il, avaient du etre vertement tances, il bougonna:
--Comment se fait-il que, devant vous absenter toute la journee, vous
n'ayez pas eu la precaution de me munir des aliments necessaires?
--Mais... puisque vous refusez tout ce que nous vous offrons, s'ecria
naivement Bautista.
--Est-ce une raison?... Hier, precisement, j'etais dispose a manger.
--Est-ce possible!...
--Puisque je vous le dis.
--Et aujourd'hui? haleta Zacarias.
--Aujourd'hui, comme hier, j'enrage de faim et de soif!...
--Seigneur Dieu! s'ecria Bautista, ravi, quel plaisir vous nous
faites!... Venez vite, monsieur.
Et ils entrainerent vivement leur prisonnier, qui se laissait faire avec
complaisance. Quand ils furent devant la table, aussi somptueusement
garnie que l'avant-veille, le moine Zacarias s'ecria, en designant d'un
clignement d'oeil significatif l'enorme profusion de plats charges de
victuailles:
--Je vous defie bien de la mettre a sec!
--Il est de fait, confessa Pardaillan, qu'il y a la de quoi satisfaire
plusieurs appetits robustes.
Et il s'assit resolument devant l'unique couvert. Et, comme
l'avant-veille, l'orchestre invisible se fit entendre, mysterieux et
lointain, tandis que les moines s'empressaient a le servir, pleins
de prevenances et d'attentions, les yeux luisants, la face epanouie,
heureux de penser qu'enfin, ils allaient realiser leur reve de
gourmands.
Pardaillan, tres froid, attaqua, les hors-d'oeuvre. Et, a le voir si
calme, si admirablement maitre de lui, on n'eut, certes, pu soupconner
le drame effroyable qui se passait dans son esprit.
En effet, a chaque bouchee qu'il avalait, quoi qu'il en eut, cette
question revenait sans cesse a son esprit:
--Est-ce celle-ci qui va me foudroyer?
Et, chaque fois qu'il passait a un autre plat, il se disait:
"Ce n'etait pas celui qu'on enleve... ce sera peut-etre pour celui-ci."
Au commencement du repas, il ava
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