'avait
pris de nourriture, et il se trouvait dans un etat de faiblesse
comprehensible, mais qui ne laissait pas que de l'inquieter.
La fievre le minait, et la soif, l'horrible soif qui contractait sa
gorge en feu et tumefiait ses levres dessechees, le faisait cruellement
souffrir.
Il avait des bourdonnements qui, a la longue, devenaient exasperants,
et, ce qui etait plus grave, des eblouissements frequents, qui le
laissaient dans un etat de prostration qui ressemblait singulierement a
l'evanouissement. Enfonce dans son fauteuil, il grondait en songeant aux
deux moines:
"Les scelerats, m'ont-ils assez assassine!... Vit-on jamais acharnement
pareil?... Ils ne m'ont pas fait grace du plus petit plat. Comment ai-je
pu resister a la faim qui me tenaille? car j'ai faim, mordieu! j'enrage
de faim et de soif... Ah! par ma foi! j'ai fait ce que j'ai pu!
Arrive qu'arrive, demain je mangerai.
Le lendemain, l'heure du petit dejeuner arriva, et les moines ne
parurent pas.
"Diable! songea Pardaillan decu, aurais-je trop attendu? M. d'Espinosa
aurait-il change d'idee et, renoncant au poison, voudrait-il me prendre
par la faim?
Il attendit sans trop de regret, ce petit dejeuner etant un repas
frugal, tres leger, qui n'eut pu le satisfaire apres le long jeune qu'il
venait d'endurer.
L'heure du grand dejeuner arriva a son tour. Et les moines ne parurent
toujours pas.
Cette fois, Pardaillan commenca de s'inquieter pour de bon.
"Il n'est pas possible que ce soit un oubli, songeait-il en arpentant
nerveusement sa chambre. Il doit y avoir quelque chose... Mais quoi?...
D'Espinosa aurait-il devine qu'aujourd'hui j'etais resolu a affronter
son poison?... Le Chico aurait-il fait quelque tentative imprudente?...
Se serait-il laisse prendre?... Si je m'informais?..."
Il se dirigea vers la porte. Mais, au moment de frapper au judas, il
s'arreta, indecis.
"Non, fit-il en s'eloignant lentement, je ne veux pas leur laisser voir
que j'attends ma pitance avec impatience... quoique, a tout prendre...
Patientons encore."
L'heure de la collation passa. Puis, l'heure du diner vint a son tour.
Les moines demeurerent invisibles. Enfin, l'heure du souper vint et
passa sans amener les moines.
"Morbleu! fit rageusement Pardaillan, je veux savoir a quoi m'en tenir!"
Resolument, il se dirigea vers le judas et frappa. On ouvrit aussitot.
--Vous avez besoin de quelque chose? fit une voix doucereuse qui n'etait
pas celle de ses
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