ement a la
memoire? Pourquoi rapprochait-il cet incident des paroles prononcees
par d'Espinosa? Pourquoi le dialogue de Fausta et du grand inquisiteur,
parlant de sa folie, ce dialogue qui lui etait tout a coup revenu a
la memoire, dans ce qu'il appelait deja la "galerie des supplices",
pourquoi ce dialogue lui revenait-il de nouveau a la memoire?
Quelles conclusions tirait-il de l'incident de la bouteille de vin de
Saumur videe dans une cuvette d'eau sale, des paroles d'Espinosa, des
paroles de Fausta, de la vision de la cage des fous? C'est ce que nous
ne saurions dire. Mais toujours est-il que, peu a peu il s'assoupit dans
son fauteuil et que, dans son sommeil agite, il avait aux levres un
sourire narquois, et, de temps en temps, il bredouillait des mots sans
suite, parmi lesquels revenait frequemment celui-ci: FOLIE.
Le soir venu, les moines, consternes de voir qu'il n'avait pas touche
au diner, non plus qu'au dejeuner, lui servirent un souper plus soigne
encore que les precedents repas. Malgre leur insistance, Pardaillan
refusa de manger.
Les moines durent se retirer sans etre parvenus a le decider et, des
qu'il se vit seul, il se hata de se mettre au lit pour se soustraire
a la tentation de la table etincelante. Et il faut convenir qu'il
lui fallut une force de volonte peu commune, car la faim se faisait
cruellement sentir. Peut-etre l'eut-il moins sentie s'il avait pu
detacher completement son esprit de cette pensee.
Mais les moines revenaient obstinement avec leur table chargee de mets
appetissants. Et, sous pretexte que, peut-etre plus tard, il voudrait
faire honneur a ce repas, ils laissaient devant lui cette table et tout
ce qu'elle supportait de bonnes choses. Or, si Pardaillan reussissait, a
force de volonte, a chasser la faim, un regard tombant par hasard sur la
table suffisait a reveiller son estomac qui se mettait aussitot a hurler
famine.
Le lendemain, le meme supplice se renouvela, avec aggravation de repas
augmentes. En effet, les moines, impitoyables, lui servirent un petit et
un grand dejeuner, un diner, une collation et un souper.
Cinq fois dans la meme journee, il eut a resister a l'abominable
tentation d'une table qui se faisait de plus en plus recherchee, de plus
en plus abondante et delicate, de plus en plus chargee des crus les plus
rares et les plus renommes.
Le troisieme jour, Pardaillan, la gorge seche, la tete en feu, sentant
ses jambes se derober sous lui, se disait pour se
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