faisaient
vis-a-vis. Bien qu'il fit grand jour au-dehors, aux quatre angles,
quatre torcheres enormes, chargees de cire rose et parfumee, qui se
consumaient lentement et dont les volutes de fumee bleuatre repandaient
dans la salle ce parfum special qu'on y respirait.
Voila ce que vit Pardaillan d'un coup d'oeil.
Tout, dans cette salle, semblait avoir ete amenage en vue de la
glorification de la gourmandise. Tout semblait avoir ete concu en vue
de l'inciter a faire comme les personnages des tableaux et tapisseries,
c'est-a-dire a bafrer sans retenue.
Au centre de la salle, une table etait dressee, autour de laquelle vingt
personnes eussent pu s'asseoir a l'aise. Une nappe d'une blancheur
eblouissante et d'une finesse arachneenne; des chemins de table en
dentelles precieuses, des surtouts d'argent massif, des cristaux
enchasses de metal precieux, une vaisselle d'or et d'argent, des
flambeaux aux cires allumees et des jonchees de fleurs. Tel etait le
decor prestigieux destine a encadrer dignement les innombrables plats,
les fruits savoureux, les entremets, les patisseries, les compotes et
les gelees et l'escadron des flacons de toutes formes et de toutes
dimensions, ranges en bon ordre devant la ligne des bouteilles ventrues,
venerablement poussiereuses.
Au milieu de cette table, surchargee de provisions qui eussent suffi a
rassasier vingt personnes douees du plus solide appetit, un couvert,
un seul, etait mis. Et, devant cet unique couvert, un vaste fauteuil
semblait tendre ses bras rigides a l'heureux gourmet a l'intention
duquel on avait fait cette debauche de richesses gastronomiques.
Voila ce que designaient de la main les freres Zacarias et Bautista. Et
leurs yeux clignotants, leur enorme bouche qui s'arrondissait en cul de
poule, leurs larges narines qui reniflaient non les parfums repandus
dans la salle, mais le fumet des plats, leur air de fausse modestie,
tout dans leur attitude semblait dire que tout cela etait leur oeuvre a
eux, tout implorait un compliment que Pardaillan ne leur refusa pas.
--Admirable! dit-il simplement, d'un air tres convaincu.
--N'est-ce pas? rayonna frere Bautista. Et que direz-vous, mon frere,
quand vous aurez goute aux delicieuses choses qui figurent sur cette
table!
Les deux moines se regardaient d'un air triomphant.
Helas! leur joie fut de courte duree, car Pardaillan ajouta aussitot:
--Merveilleux! Mais vous vous etes donne beaucoup de peine bien
inutilement, car
|