je ne toucherai a rien des merveilles entassees la.
La consternation des moines confina au desespoir. Pour un peu, ils
l'eussent battu.
--Ne blasphemez pas, dit severement frere Bautista. Asseyez-vous plutot
dans ce moelleux fauteuil qui vous tend les bras.
--Mais puisque je vous dis que je ne veux rien prendre... Rien,
entendez-vous?
--C'est l'ordre! dit doucement frere Zacarias.
Pardaillan lui jeta un coup d'oeil de cote.
--Vous l'avez deja dit, fit-il avec son air narquois. Vous ne variez pas
souvent vos formules.
--Puisque c'est l'ordre! repeta naivement frere Zacarias.
--Asseyez-vous, mon frere, supplia Bautista, faites-le pour l'amour de
nous... Nous sommes deshonores si vous resistez a tous nos efforts.
Pardaillan eut-il pitie de leur desespoir tres sincere? Comprit-il
que la resistance serait inutile et que, rigoureux observateurs de la
consigne recue, ses deux gardiens ne lui laisseraient aucun repit, tant
qu'il ne se serait pas assis a cette table somptueuse? Nous ne saurions
dire, mais toujours est-il que, de son air railleur, il condescendit:
--Eh bien, soit. Pour l'amour de vous, je veux bien m'asseoir la... Mais
vous serez bien fins si vous reussissez a me faire ingurgiter la moindre
des choses.
Et il s'assit brusquement, avec un air qui eut donne fort a reflechir
aux dignes moines s'ils avaient ete plus physionomistes ou s'ils avaient
mieux connu leur prisonnier.
--Allons, dit Pardaillan, qui sentait la colere le gagner, allons,
faites en conscience votre metier de bourreau.
Les deux moines le regarderent avec stupefaction. Ils ne comprenaient
pas.
Des que Pardaillan eut pris place dans le fauteuil, un orchestre, qui
semblait etre dissimule derriere la cheminee, se mit a jouer des airs
tour a tour tendres et languissants, joyeux et capricants. Et les sons
des instruments a cordes, auxquels se melaient les sons plus aigus des
flutes et ceux plus nasillards des hautbois, lui arrivaient voiles,
mysterieux, comme tres lointains, evocateurs de reves melancoliques ou
joyeux.
Cette mise en scene savante, cette musique lointaine, ces fleurs, ces
parfums aphrodisiaques, la splendeur de cette table, le fumet des plats,
l'arome capiteux des vins tombant en pluie de rubis et de topazes
dans des coupes de pur cristal, au long pied de metal precieux,
chefs-d'oeuvre d'orfevrerie, il y avait la plus qu'il n'en fallait pour
affoler l'esprit le plus ferme et le plus lucide. Malgre sa forc
|