referma le coffre. Il
traina le fauteuil devant la fenetre et s'assit, le dos tourne a la
table tentatrice. En meme temps, pour se donner la force de resister, il
murmura:
"Je n'ai plus guere que deux jours et demi a patienter. Que diable! deux
jours sont bientot passes!
Et, par un puissant effort de volonte, il reussit a se soustraire
a cette obsession et se mit a repasser tout ce que lui avait dit
d'Espinosa.
Des bribes de phrases lui revenaient plus particulierement: "On lui fait
boire une potion... Ce breuvage agit sur le cerveau qu'il engourdit...
Il sent son intelligence s'obscurcir... Toutefois, ce n'est pas encore
la folie."
Et un detail, que nous avons omis de signaler, lui revenait obstinement
a la memoire: au premier repas qu'il avait fait dans cette chambre, a ce
meme repas ou il avait absorbe un narcotique qui devait le tenir endormi
plusieurs jours, il avait tout de suite remarque sur la table une
bouteille de vieux vin de Saumur, pour lequel il avait un faible, et
l'avait mise de cote, la reservant pour la bonne bouche. Or, a la fin
de son repas, lorsqu'il voulut attaquer la bonne bouteille, il s'etait
senti pris d'un subit malaise. C'etait le narcotique qui faisait son
effet.
Cela avait ete tres passager. Mais il n'en fallait pas plus pour
eveiller ses soupcons. Avant de vider le verre qu'il venait de remplir,
il le porta a ses narines et le flaira longuement.
Cet examen ne lui ayant pas paru suffisant, il trempa son doigt dans le
verre, laissa tomber quelques gouttes du liquide leger et mousseux
sur sa langue et se mit a le deguster avec tout le soin d'un parfait
connaisseur qu'il etait. Le resultat de cette degustation avait ete
qu'il avait depose le verre sur la table, sans y toucher davantage. Son
repas etait acheve. Il n'avait plus ni faim ni soif.
Tout a coup, une inspiration soudaine lui etait venue. Il s'etait leve
et etait alle vider le verre et tout le contenu de la bouteille de
ce Saumur, qui lui paressait suspect, dans le bassin de cuivre qui
contenait encore l'eau sale rougie de son sang, qu'il y avait laissee
apres s'etre convenablement debarbouille. Puis, il etait revenu
s'asseoir a table, reposant la bouteille et le verre a leur place.
Quelques instants plus tard, la tete lourde, pris d'un sommeil
irresistible, il s'etait endormi aussitot.
Pourquoi avait-il agi ainsi? Il n'aurait su le dire. Pourquoi ce detail
qu'il avait presque oublie lui revenait-il maintenant obstin
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