aladif. Tout, chez elle,
tournait en graisse, une graisse adipeuse et malsaine.
Elle etait agreable de visage, avec ses yeux expressifs et sa bouche
souriante. Sourire auquel, par malheur, il manquait des dents: souvenir
des coups qu'elle avait recus de son pere, lorsque, a peine agee de
dix-huit ans, elle s'etait laissee seduire par un galant. Un enfant lui
etait ne, et, depuis lors, Lotje avait vecu pour ainsi dire en marge de
la vie normale. Elle n'avait cesse de sentir peser sur elle cette faute
premiere et unique, et il lui en resta a jamais un obscur fremissement
de honte; en toute chose elle devint humble et discrete, se contentant
d'un tout petit peu de joie et de bonheur, qu'elle ne parvenait pas
toujours a s'assurer. Elle vivait avec sa vieille mere et sa fillette
et a elles trois, avaient bien de la peine a joindre les deux bouts.
Apres Lotje, Zulma, "La Blanche". Elle avait une jolie taille, mais,
pour le reste, offrait la laideur navrante d'une desheritee: petits yeux
chassieux et rougeatres, cheveux blancs, sourcils blancs, cils blancs,
teint blanchatre sans couleur. D'un caractere craintif et timide, il
semblait y avoir dans son etre intime des abimes de melancolie. Elle
parlait peu et riait rarement, comme pour eloigner d'elle toute
attention. Les hommes lui causaient une peur extreme et tout le monde
avait ete ebahi le jour ou l'on avait appris ses relations avec
Poeteken. Peut-etre se croyait-elle plus en surete aupres du faible
Poeteken. Un avorton comme lui serait moins moqueur que les grands et
les forts. Peut-etre aussi etait-ce la force du contraste: l'attrait
irresistible de tout ce blanc pour tout ce noir. On en jasait dans la
fabrique et elle en etait toute bouleversee. Elle evitait autant que
possible le contact des autres hommes; et pour Bruun, le chauffeur, qui
la harcelait sans cesse de ses propositions ignobles, elle eprouvait une
aversion et une terreur indicibles. En plus du ravaudage des sacs sa
besogne consistait a garnir et allumer les lampes a petrole et a faire
le lit au-dessus de l'ecurie, ou couchait a tour de role un des
charretiers. Trente ans et orpheline. Elle habitait en pension chez des
bigotes, deux petites vieilles qui tenaient une mechante boutique de
mercerie et bonbons, dans une ruelle du village.
A cote de "La Blanche" etait assise Sidonie. C'etait la beaute de la
fabrique. Elle avait vingt ans, des joues vermeilles, d'admirables
cheveux chatains et des yeux a la
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