joyeuse.
A part son usine, M. de Beule possedait des terres de culture et des
herbages; et l'ete, pendant la morte-saison, les ouvriers de la fabrique
s'en allaient travailler aux champs.
Chaque annee, vers la fin de juin, les villageois n'entendaient plus le
tintamarre habituel des pilons dans l'usine. C'etait la saison des
foins; Ollewaert, Leo et Free, qui etaient de rudes faucheurs, partaient
de grand matin, la faux sur l'epaule, bientot suivis de presque tous les
autres, hommes et femmes ensemble, pour retourner au soleil l'herbe
fauchee et la mettre en tas vers le soir. Seul, Bruun, le chauffeur, et
son fils Miel restaient a la fabrique, avec Pee, le meunier, pour tout
nettoyer.
Delicieuses escapades! Ils emportaient de quoi manger et boire, et
l'admirable journee d'ete s'ouvrait toute devant eux comme une longue
fete de liberte et de bonheur. Les premiers jours, les "huiliers", avec
leurs vetements luisants et gras, detonaient bien un peu dans toute
cette verdure et cette fraicheur; mais peu a peu ils sechaient, comme
l'herbe meme, leurs visages se bronzaient, et on eut dit qu'ils n'avaient
jamais respire un autre air que celui de la pleine nature, au grand soleil
radieux.
Ils arrangeaient la besogne a leur gre. Dans le matin vaporeux les
alouettes quittaient l'herbe haute, humide de rosee, et s'envolaient en
grisollant sur leurs ailes fremissantes en plein azur pale. Vivifiante
etait la fraicheur lorsque Ollewaert, Leo et Free aiguisaient leurs
faux, qui semblaient aussi chanter; puis, dans un mouvement ample et
rythme, ils avancaient lentement a travers la vaste prairie, laissant
l'herbe couchee en longues trainees derriere eux. D'autres moissonneurs
etaient partout au travail; de tous cotes on voyait leurs silhouettes se
balancer, tres hautes aux premiers plans, plus petites a mesure qu'elles
s'eloignaient, jusqu'a devenir dans le lointain ces petits bonshommes
pas plus grands que des criquets; et l'air etait rempli a l'infini du
chant de l'acier, qui devorait la verte plaine en une sorte de volupte
inassouvie.
Vers neuf heures, avec la chaleur qui montait, apparaissaient les autres
ouvriers et les femmes, tous armes de longues fourches fines et de
grands rateaux de bois qu'ils portaient a la main ou sur l'epaule. Les
femmes avaient de grands chapeaux de paille, qui leur abritaient le
visage et la nuque; les hommes, en bras de chemise, etaient vetus
d'amples pantalons de toile bleue ou grise. Tous a
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