oissonneurs et les faneurs de M. de Beule a leur tour revenaient au
village. Les faucheurs portaient leurs faux etincelantes comme des
symboles; les faneurs et les faneuses dardaient leurs fourches, qui
ressemblaient a des lances. Ils avaient le visage basane, haut en
couleur et ils devisaient joyeusement. Parfois les jeunes filles
cueillaient dans les bles un coquelicot ou un bleuet qu'elles mettaient
a la bouche et gardaient entre les dents. Souvent, tous en choeur, on
fredonnait une chanson.
L'air du soir devenait leger, limpide et diaphane, comme immateriel.
Les tons de feu se mouraient a l'horizon et les teintes verdatres
s'accentuaient au zenith, suggerant des paturages immenses, que les
premieres etoiles piquaient de fleurs miraculeuses. Les oiseaux se
taisaient. Seules, les hirondelles se poursuivaient encore avec des
cris aigus, ou percait comme une joie delirante.
La journee avait ete delicieuse et le lendemain on recommencerait....
* * * * *
DEUXIEME PARTIE
I
Ce fut au cours de cet ete-la que les campagnes, a l'abri jusque-la du
trouble et du mecontentement, furent gagnees par la fermentation qui
depuis longtemps travaillait les grandes villes.
Des greves tres serieuses avaient eclate dans plusieurs grands centres
industriels; on avait vu des corteges inquietants, ou des milliers de
chomeurs exhibaient des drapeaux rouges et des pancartes portant cette
menace: "Du pain ou la mort!... Du pain ou la mort!..." Les mots
terribles et vengeurs retentissaient partout comme un cri de guerre et
des combats furieux s'etaient livres dans les rues, ou la police et la
troupe n'avaient pas toujours eu le dessus. On avait ramasse des morts;
de nombreux blesses se tenaient caches. Apres quelques jours d'angoisse
l'agitation s'etait calmee, mais l'avenir demeurait sombre, gros de
menaces et de funeste augure aux approches de l'hiver.
Pierken suivait dans son petit journal ces evenements palpitants et ne
se laissait pas d'en faire part a ses camarades de la fabrique.
N'etaient-ils pas a plaindre, eux aussi? N'avaient-ils pas des droits
a faire valoir, eux aussi, des droits a un sort meilleur, comme leurs
camarades des grandes villes? Pierken en etait convaincu; l'heure avait
sonne, selon lui, de s'en ouvrir a leur patron.
Mais comment s'y prendre et que lui demander? Pierken hesitait, et les
autres ouvriers n'etaient pas en etat de l'aider de leurs conseils.
Tous,
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