ne petite bouteille de sa poche et demanda a la mere Neirynck si
elle ne voulait pas lui preter un peu d'huile. Il n'en avait plus et il
lui fallait absolument teiller ce soir encore une ou deux bottes de lin.
--Mais oui, mon gars Ivo, mais oui, repondit la mere Neirynck, contente
de pouvoir lui rendre service et d'acheter peut-etre ainsi sa
discretion.
Elle lui prit des mains la petite bouteille et fut la remplir a la
jarre, dans l'arriere-cuisine.
--Je crois qu'il neige, dit M. Triphon, sentant qu'il devait dire
quelque chose. Je crains que ca ne recommence a tomber dru, ajouta-t-il
avec un regard inquiet vers les volets fermes.
--Oui, n'est-ce pas, m'sieu Triphon, repondit aussitot le petit
teilleur. C'est trop, pas vrai? Faudrait du temps sec a present.
Les jeunes filles, les joues en feu et agitant fievreusement leurs
bobines, se melerent a la conversation.
--Le pire, c'est pour les labours de printemps, dit Sidonie.
--Oui, surencherit M. Triphon; et les charretiers donc, avec leurs gros
chariots le long des routes. Chaque jour je suis etonne de voir rentrer
les notres.
--Oui mais, et quand le degel viendra!... ajouta Ivo d'un ton important.
Les petites soeurs hochaient la tete d'un air grave et tout le monde
etait d'accord qu'un temps pareil, s'il durait, c'etait la ruine. La
conversation tournait aux plus sombres pronostics, comme de vieilles
gens avec leur crainte enfantine de malheurs imaginaires. On eut dit que
M. Triphon etait venu chez les Neirynck uniquement pour epiloguer sur ce
chapitre sans fin et que tout le reste etait sans interet pour lui. La
mere rentra avec la fiole remplie et la tendit au petit teilleur. Il
sourit largement dans sa barbe blonde et se confondit en remerciements,
promettant de rendre l'huile sous peu. Ca ne pressait pas, assura la
mere Neirynck; et M. Triphon, sortant son etui, lui demanda s'il
desirait fumer un cigare.
--Ah! m'sieu Triphon, ca n'est pas de refus, vous savez! repondit le
petit teilleur, dont toute la physionomie s'epanouit d'une joie
gourmande.
Il riait d'aise, comme un tournesol radieux, dans sa barbe blanche, M.
Triphon lui donna trois beaux cigares, avec lesquels il disparut dans la
nuit neigeuse, riant tout haut et titubant de joie.
--Il ira raconter qu'il vous a vu; c'est un petit bavard, dit la mere
d'un air anxieux en revenant de fermer la porte.
--Je le crains aussi, repondit M. Triphon, la mine tres abattue.
Les jeunes filles
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