ous demander, au nom de tous les ouvriers
et de toutes les ouvrieres de la fabrique, si vous etes d'accord avec
nous pour ramener notre journee de travail de douze heures a dix, et
augmenter nos salaires de cinquante centimes par jour pour les hommes et
de vingt-cinq centimes pour les femmes. Voila, monsieur, ce que nous
avions a vous dire!
Et, sans peur, les bras croises, Pierken regarda son terrible patron en
plein dans les yeux.
M. de Beule sursauta, puis regarda de tous cotes, comme s'il cherchait
un objet, une arme quelconque qui lui eut permis d'assommer l'audacieux
trio. Il eut un geste de fureur desesperee et presque comique; puis,
relevant la tete, il apercut sur le seuil de l'arriere-cuisine sa femme
et son fils, accourus au bruit des eclats de voix, visages inquiets.
--As-tu entendu ce qu'ils viennent d'exiger? cria-t-il a sa femme. Deux
heures de travail en moins et cinquante centimes d'augmentation par
jour!
--Pour les hommes ... et vingt-cinq centimes pour les femmes, corrigea
Pierken d'une voix posee mais resolue.
--Seigneur Dieu! s'ecria Mme de Beule en levant les mains au ciel.
M. Triphon ne disait rien. Le regard a terre, il tortillait sa courte
moustache. Kaboul et Muche, qui s'etaient rencontres il n'y avait pas
cinq minutes, se flairaient, tournaient, procedaient a un minutieux
examen l'un de l'autre, comme s'ils se voyaient pour la premiere fois.
Derriere un des carreaux de la cuisine, on apercevait confusement les
figures consternees de Sefietje et d'Eleken.
--Seigneur Dieu, repeta Mme de Beule au comble de l'angoisse.
Brusquement, M. de Beule fut pris comme d'une attaque de folie furieuse.
--Voyous! Mendiants! Canailles! hurlait-il hors de lui, en toisant les
trois ouvriers a tour de role de ses yeux flamboyants. "Creve-la-faim!"
rugit-il comme supreme insulte, les poings serres. "Hors d'ici, nom de
Dieu! sinon...."
Il n'acheva pas, bondit vers eux, comme s'il allait les assommer.
--Prenez garde, monsieur! dit Pierken extraordinairement calme. "Prenez
garde, vous pourriez le regretter!" Mais tout a coup, s'animant, la voix
stridente et des deux poings se frappant la poitrine: "Des
creve-la-faim! Oui, nous sommes des creve-la-faim. Et c'est parce que
nous ne voulons pas rester des creve-la-faim, que nous venons reclamer
un sort meilleur. Nous voulons devenir des etres humains, monsieur, non
plus des betes de somme. Oui, des etres humains, madame!" jeta Pierken
en se tournan
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