etait maintenant plus de huit heures. Rien d'etonnant a ce que les auges
fussent vides. Tout de meme, Sefietje n'etait nullement rassuree. Si
elle n'avait pas vu le "Poulet Froid" avec les autres bambocheurs, elle
n'aurait eu aucun soupcon. Mais, a present....
Immobiles, les chevaux continuaient a regarder Sefietje et il y avait
comme une priere muette dans leurs yeux. Machinalement, Sefietje se
dirigea vers le coffre a avoine et en souleva le couvercle. Aussitot les
quatre chevaux se mirent a hennir en pietinant nerveusement leur
litiere, dans le bruit de chaine des anneaux de licol.
Elle remplit a moitie une mesure d'avoine et s'approcha du premier
cheval. La bete y alla si vivement qu'elle faillit renverser Sefietje.
Les autres s'agitaient d'impatience; et la vieille servante leur donna a
chacun un picotin. Elle hesitait pourtant, inquiete et angoissee.
Etait-ce bien, ce qu'elle faisait la? Evidemment, des chevaux bien
portants ne refusaient jamais l'avoine. Ils en devoreraient des
boisseaux, si on ne les retenait pas. "Ah! si vous pouviez parler, mes
bonnes betes!" soupirait Sefietje. Elle aurait bien voulu aussi leur
donner une botte de foin, mais elle n'osait. Ce serait peut-etre trop.
Que dirait M. de Beule si le lendemain ses quatre chevaux etaient
malades? Toute perplexe et attendrie dans sa pitie pour les betes, elle
quitta l'ecurie, apres leur avoir parle encore comme a des etres
humains.
Un peu avant neuf heures, lorsque les volets furent fermes et les lampes
allumees, des chants braillards tout a coup eclaterent dans la rue.
Sefietje, occupee a laver la vaisselle avec Eleken, quitta aussitot son
ouvrage. Les chants s'elevaient en une clameur sauvage. On eut dit un
bruit d'emeute.
--Les revoila! Ils sortent du _Petit Sabot_, dit Sefietje.
Et elle colla l'oreille contre le volet ferme. "Tu entends?"
murmura-t-elle alarmee. "C'est la voix de cet ivrogne de Berzeel. Ecoute
donc; il jure comme un paien!"
La porte de la salle a manger s'ouvrit et M. de Beule parut sur le seuil
de la cuisine.
--Qu'est-ce qui se passe dans la rue? demanda-t-il d'un air rogue.
--Mais je ne sais pas, monsieur, mentit Sefietje tremblante.
Eleken, quittant precipitamment la cuisine, monta l'escalier quatre a
quatre, comme si quelque besogne urgente l'appelait en haut. M. de Beule
la suivit d'un regard irrite, traversa le vestibule, le couloir et
ouvrit la porte d'entree. La clameur des chants entra en coup de vent
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