blait ne pas
pouvoir trouver les mots pour exprimer ses sentiments. Du reste, Mme de
Beule n'insista point. Elle lui avait dit ce qu'elle voulait lui dire
et, accompagnee de M. Triphon, passa dans la "fosse aux huiliers" ou les
pilons menaient leur danse infernale.
Il y avait deux places vides aux etablis. M. Triphon le remarqua du
premier coup d'oeil: celle de Pierken et celle de Fikandouss. Il
s'empressa de le glisser a l'oreille de sa mere, avant qu'elle et lui
passent lentement devant la rangee des ouvriers, en repondant d'un
mouvement de tete a leur salut silencieux. Tous les autres etaient a
leur poste. Berzeel y etait, parfaitement de sang-froid, serieux et meme
grave, comme s'il sentait peser sur lui une responsabilite inhabituelle.
Leo y etait, Free y etait, Poeteken y etait, et Ollewaert aussi, tous a
l'envi poses et graves, absorbes dans leur travail, comme s'il
n'existait nul autre interet au monde. Pee etait deja tout blanc, tel un
bonhomme de neige, a cote de ses moulins rageurs, et Miel, cette espece
de veau, avec l'autre "cabri" se demenait autour des enormes meules
verticales. Miel resta une minute bouche bee lorsqu'il vit paraitre Mme
de Beule avec M. Triphon et ses epais sourcils rejoignirent presque ses
cheveux, faisant disparaitre le doigt de front qu'il possedait.
Visiblement, il n'avait rien compris a tout ce qui s'etait passe et
attendait encore la solution de l'enigme.
Les hommes semblaient de plus en plus absorbes dans leur travail et les
pilons tapaient avec une telle furie que Mme de Beule et son fils se
sentaient dans l'impossibilite materielle d'entamer le moindre colloque.
D'ailleurs, il n'y avait rien d'autre a dire que ce qu'ils venaient de
signifier a Bruun, qui, certes, ne manquerait pas de leur en faire part;
mais ils auraient bien voulu savoir pourquoi Pierken et Fikandouss
n'etaient pas revenus et ce qu'ils avaient l'intention de faire. M.
Triphon, profitant d'une breve accalmie dans l'ouragan des pilons,
s'approcha de Berzeel et lui demanda:
--Est-ce que Pierken ne revient plus?
--Mais si, mais si, m'sieu; seulement il est un peu malade; il a un fort
mal de tete, repondit Berzeel.
--Et Fikandouss?
--Ca, je ne sais pas, m'sieu, dit Berzeel de son air grave et absorbe.
Les pilons recommencaient a bondir, les hommes s'affairaient autour des
presses. Sans s'attarder davantage, Mme de Beule et M. Triphon
quitterent la "fosse aux huiliers" pour se diriger vers la "fosse au
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