lus vite. Fremissantes de peur,
les femmes s'etaient hatees de rentrer dans leur "fosse" et les hommes
s'empresserent d'en faire autant, sentant tres bien que toute cette
fureur exageree etait dirigee contre eux plutot que contre le forgeron
et son aide.
Pour le reste du jour, de nouveau la parole fut exclusivement aux lourds
pilons rebondissants. Les hommes etaient silencieux et boudeurs. A six
heures, de meme que le matin, Pierken et Fikandouss refuserent
obstinement leur goutte, mais personne, cette fois, ne fit mine de la
leur demander. Tous regardaient avec des yeux de profond mepris les deux
abstinents.
Un peu avant la fin de la journee une ombre noire parut dans l'embrasure
de la porte d'entree et Justin-la-Craque, qui representait cette ombre,
s'y tint tout un temps immobile comme pour une inspection severe des
lieux. Brusquement, il quitta le seuil et s'avanca dans la "fosse", se
dirigeant tout droit vers Fikandouss et Pierken, qu'il regardait de ses
yeux fixes. Les deux copains faisaient semblant de ne pas le voir; les
autres, secretement amuses, ricanaient en silence.
--Y a quelque chose, Justin? demanda Free d'un ton badin.
Comme un fantoche mu par un ressort, Justin-la-Craque se retourna vers
Free. Ses yeux etaient vitreux et fixes; il etait ivre. "Ooooooooooo..."
commenca-t-il en un long tremolo sombre. Tout a coup, un sac a tourteau
imbibe d'huile, parti on ne savait d'ou, vint le frapper en plein visage,
pendant que Fikandouss se precipitait vers lui en hurlant:
--Fous-moi le camp, sacre nom, ou je t'assomme!
Justin ne se le fit pas dire deux fois. Sursautant de peur, il repassa
le seuil de l'huilerie en s'essuyant avec sa manche, qui lui
barbouillait la joue en noir. Les autres se mirent a rire, mais du bout
des levres, ne voulant pas faire un succes a Fikandouss. Ils le
regardaient a la derobee, mefiants, deroutes par cet enorme changement
qui s'etait opere en lui, les derniers temps. Il n'avait jamais ete tout
a fait d'aplomb. Qui sait s'il n'etait pas en train de devenir
completement toctoc?
XII
Quelques jours se passerent. La situation a la fabrique ne se modifiait
pas. Pierken et Fikandouss restaient absolument a l'ecart des autres
ouvriers. Ils continuaient de refuser obstinement leurs gouttes et
persistaient dans leur attitude distante et hostile. Ils semblaient
plonges en des reflexions profondes. On eut dit que Pierken meditait
l'execution d'un plan secret, que Fikandous
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