ne le meritent pas du tout, repondit M. de Beule sur un ton
chagrin.
Comme il arrivait souvent chez lui, son humeur, l'instant d'avant
victorieuse et fanfaronne, etait brusquement redevenue, sans aucune
cause apparente, morose et sombre. Ecarlate, gonfle de colere et de
rancune, il etait assis au milieu des paperasses a son bureau.
--Si on leur en donnait tout de meme deux pour avoir la paix, proposa
timidement Mme de Beule.
Il refusa de se prononcer.
--Tu vois comme je suis surcharge de besogne... On ne peut donc pas me
laisser une minute tranquille! grommela-t-il.
Mme de Beule s'en retourna aupres de Sefietje qui attendait, sa
bouteille pleine sur le bras.
--Il ne veut pas se prononcer! soupira-t-elle.
--Mais que dois-je faire? soupira Sefietje a son tour.
--Donnez-leur en deux, dit Mme de Beule apres une breve hesitation.
Sefietje partit, commenca par la chambre des machines, s'approcha de
Bruun. Ils echangerent un salut banal, comme si rien ne s'etait passe et
Sefietje remplit le verre. Bruun le lampa d'un trait, garda le verre a
la main, regarda Sefietje.
--Encore? demanda-t-elle d'une voix blanche.
Sur un signe que oui, elle remplit a nouveau le verre qu'il vida comme
si c'etait de l'eau, et le rendit a la servante. Sans un mot, elle passa
dans la "fosse aux huiliers".
Berzeel etait le premier a servir. Avec la figure toujours grave de
quelqu'un qui sent tout le poids de sa responsabilite, il regarda
vivement et a la derobee la bouteille, comme s'il en jaugeait d'un seul
coup d'oeil le contenu. Sefietje remplit le petit verre. Il le vida d'un
trait, comme Bruun. Alors il hesita. Ses doigts tremblaient legerement;
il semblait vouloir donner et prendre a la fois. Sefietje ne comprit pas
tres bien; elle crut d'abord qu'il n'en desirait pas davantage. Le petit
verre et la bouteille eurent chacun un mouvement de oui et non, d'abord
l'un vers l'autre puis en sens inverse, jusqu'a ce que Sefietje eut
enfin compris tres clairement et versat une seconde rasade. Berzeel eut
un rictus de satisfaction, avec un sourire de ses petits yeux vifs.
"Merci", dit-il en rendant le verre vide.
Tous les autres avaient suivi la petite scene avec une curiosite tendue
a l'extreme, arretant une minute leurs pilons pour n'en pas perdre un
detail. Free et Leo sourirent comme Berzeel et se pourlecherent
machinalement les levres. Le petit Poeteken couvait le verre de ses yeux
rayonnants et candides, pareil a un ang
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