Sefietje, ce
manquement renversait tout; au point qu'elle se mit a sangloter, comme
brisee de douleur, en descendant avec sa lanterne l'echelle de la
soupente.
Elle alla au coffre a avoine et, cette fois, remplit bien la mesure.
Elle n'hesita pas non plus a donner toute une botte de foin a chacun des
chevaux. Les betes mangeaient: on entendait un bruit sourd et continu,
comme de meules qui broient. Et Sefietje hesitait, avec un gros soupir.
Elle craignait de mal faire. Tout de meme, elle remplit un seau a la
pompe et le hissa jusqu'aux auges. C'etait presque au-dessus de ses
forces. L'eau ruisselait et lui mouillait les pieds. Deux des chevaux
burent avec avidite; les autres ne s'arreterent pas de manger. En buvant
ils aspiraient le liquide comme une pompe: on voyait le niveau baisser.
Les autres n'y trempaient qu'un moment le naseau, comme si cette eau les
degoutait. Inconsolee, Sefietje ferma la porte de l'ecurie et retourna a
la maison.
V
De toute la nuit, elle ne put dormir. La tragedie des chevaux la hantait
ainsi qu'un cauchemar. Que s'etait-il passe? Qu'allait-il se passer
demain? A cinq heures du matin Sefietje etait sur pieds. C'etait l'heure
ou le "Poulet Froid" devait donner aux chevaux leur ration du matin. Qui
sait? Il etait peut-etre rentre tard dans la nuit. Frissonnante dans
l'air froid, un fichu jete en hate sur la tete et les epaules, Sefietje
retourna vers l'ecurie.
Rien! Pas l'ombre de "Poulet Froid"! Sefietje courut a la chambre des
machines; Bruun devait deja s'y trouver, pour mettre ses chaudieres sous
pression. Pas plus de Bruun que de "Poulet Froid". Elle ouvrit la porte
de fer du fourneau. Le feu etait eteint, noir, et la chaudiere n'avait
qu'un faible sifflement, telle une chose qui est en train de rendre
l'ame. Alors Sefietje fut prise d'epouvante. Elle retourna en courant a
la maison, d'une voix entrecoupee y raconta ses aventures a Eleken, qui
venait de descendre, puis elle se laissa tomber sur une chaise, les yeux
hagards et les mains jointes, a bout de forces. La deuxieme servante,
avec de sourdes exclamations, se mit aussitot a courir de-ci de-la d'un
air effare.
A six heures, au moment ou la besogne quotidienne aurait du commencer,
la fabrique gardait un silence de tombe. Sefietje n'osait meme plus y
aller voir; on eut dit qu'il y allait de sa vie. Mais elle depecha
Eleken vers la "fosse aux femmes". Au bout de trois minutes, celle-ci
revint avec la nouvelle conster
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