ue Pierken eut decrete que la greve
commencerait le lundi suivant, pas une seule voix d'opposition ne se fit
entendre. Au contraire: ce fut une sensation de delivrance; un poids
qu'on leur enlevait du coeur, une joie de l'acte enfin accompli. Ils se
concerterent un moment sur la question de savoir si on communiquerait la
decision au patron. Oui, disait Pierken. Il trouvait cela mieux, plus
digne, plus fort; il fallait y mettre des formes. Mais tous les autres,
du coup plus agressifs et plus intolerants que leur chef, estimaient que
ce serait politesse absolument superflue. Il (il, c'etait M. de Beule)
s'apercevrait bien qu'il y avait greve, lorsqu'il ne verrait aucun de
ses ouvriers a la fabrique, le lundi matin. Pierken n'insista point. Au
fond, cela lui etait bien egal. L'important, c'etait que l'on fit greve.
Le dimanche, au cours de l'apres-midi, le village offrit un spectacle
insolite. Sefietje, par hasard, fut la premiere a le remarquer. Attachee
aux de Beule par plus de quarante annees de servage, Sefietje
considerait les interets de cette famille comme les siens. De plus elle
possedait un instinct special, qui lui faisait pressentir les dangers
menacant ses maitres. Donc Sefietje, qui regardait machinalement par la
fenetre donnant sur la rue, vit avec la plus grande stupefaction passer
Berzeel. Elle n'en revenait pas. Jamais Berzeel ne passait son dimanche
au village ou il travaillait: il le consacrait invariablement a se
saouler et se battre dans son village a lui. Aujourd'hui, du reste, il
etait aussi saoul que les autres dimanches; en plus de sa patte folle,
il titubait et parlait fort et faisait de grands gestes en compagnie
d'Ollewaert, le petit bossu, qui semblait egalement fort emeche. A eux
deux, le bossu et le bancal, ils formaient un couple peu ordinaire.
--Qu'est-ce que ca veut dire? s'ecria Sefietje s'adressant a Eleken.
L'anormal n'etait pas que Berzeel fut saoul, mais qu'il se fut saoule
ici, et non la-bas, dans son village. Une lueur de fievre colora
brusquement ses pommettes osseuses. Eleken non plus n'y comprenait rien.
Mais Eleken ne disait jamais grand'chose; elle preferait ne pas etre
melee a ces histoires. Servante en second, elle se trouvait, vis-a-vis
de la servante en chef, dans la meme situation que celle-ci; Sefietje
vivait sous la ferule de la famille de Beule, personnifiee surtout en
monsieur, tandis qu'Eleken subissait la tyrannie de Sefietje, parfois
fort acariatre.
--Il y a
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