ourire et toujours avec une joie
maligne. Feelken, par exemple, avait maintenant un petit ton special et
agacant pour prononcer son "Fikandouss-Fikandouss", lorsqu'il apercevait
M. Triphon; de meme que Leo mettait on ne sait quel insupportable
sous-entendu moqueur et sournois lorsqu'il lancait, en nuance quelque
peu attenuee, son odieux "Oooo ... uuuu ... iiii". Il supportait mal le
regard fixe et le sourire muet de Free, Berzeel et Ollewaert; et, un
jour, sa fureur eclata devant la face stupide de Miel, qui etait la a
bayer devant lui, immobile, comme s'il considerait une bete curieuse.
--Espece de veau! Qu'est-ce que tu as a me bayer ainsi a la figure!
s'ecria-t-il d'une voix tonnante, avec des yeux furibonds.
--Ha ... ha ... sais pas, moi! s'effara Miel, abasourdi.
--Occupe-toi de ton travail, nom de Dieu! grogna M. Triphon en lui
tournant le dos.
Cette sortie inattendue ne manqua pas de faire impression. Les visages
des ouvriers devinrent tout a coup serieux et ils n'eurent plus
d'attention que pour leur besogne. Un bref instant M. Triphon sentit en
lui la force et le prestige d'une victoire remportee. Tout plein de
lui-meme, fier, il quitta la "fosse aux huiliers" et s'achemina a
travers la cour vers la "fosse aux femmes". Mais avant d'en atteindre la
porte, il s'arreta, l'oreille tendue, les sourcils fronces de colere.
Derriere son dos, dans l'huilerie, retentissait un vacarme de possedes.
Leo rugissait a tue-tete son abominable "Oooo ... uuuu ... iiiii ..." et
le "Fikandouss-Fikandouss-Fikandouss" de Feelken faisait rage, pendant
que les autres riaient, gueulaient, chahutaient, comme en une folie
d'emeute.
--Nom de nom de nom de Dieu! repetait M. Triphon en trepignant de
fureur.
Dans la cour arrivait Justin-la-Craque avec une barre de fer, suivi de
son aide Komel, qui portait une pince et un marteau. Tous deux etaient
visiblement sous l'influence de la boisson. Justin se planta devant M.
Triphon, le regarda fixement de ses yeux vitreux, et commenca a
fredonner en sourdine son obsedant _O Pepita_. Il s'arreta net, grinca
des dents et, comme en un acces de rage concentree:
--Ooooo ... Monsieur Triphon! Oooo ... monsieur Triphon, si vous saviez
ce que moi je sais!
--Qu'est-ce que vous savez, Justin? demanda M. Triphon agace.
--Oooo ... Pepita! Pepita! Pepita! gronda l'ivrogne en sourdine.
Puis, brusquement, tres haut, avec une petite voix d'enfant:
--Ooooo ... Pepita! Pepita! Pepita!
--Et
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