demeurait. Il etouffait sous les arbres, ce murmure l'exasperait.
L'envoutement des branches noires lui devenait insupportable; il avait
besoin de mouvement et d'espace, de recueillement solitaire, pour
reflechir a ce qui lui arrivait, se tracer une ligne de conduite ferme
et inebranlable.
Il passa le petit pont jete sur le ruisseau, la porte dans la haie, et
se trouva avec Kaboul dans les champs. Comme tout y etait divinement
calme et reposant! Comme tout y semblait bon, tout au bonheur d'exister,
exempt de soucis! Les paysans etaient occupes a leur saine besogne et
dans le ciel leger les alouettes chantaient avec allegresse la douceur
benie du printemps. Une fraiche odeur de seve et de renouveau montait de
la terre.
M. Triphon secoua energiquement la tete, comme pour se debarrasser d'un
joug insupportable. "Je n'irai pas! Je n'irai pas!" se dit-il a voix
haute, a lui-meme. Non; il n'irait pas voir Sidonie et son enfant. Il ne
voulait pas; cela ne se pouvait pas. Il en prevoyait les suites
inevitables: l'orage violent a la maison, le scandale public, son
existence desormais impossible au village. Comme un trait de feu,
l'image de la pudibonde Josephine Dufour passa dans son esprit et il
rougit de honte. Que dirait-elle lorsqu'elle apprendrait l'evenement!
Que ferait-elle lorsqu'elle le rencontrerait? A cette heure il devait
etre tombe si bas dans son estime qu'en realite il n'existait plus pour
elle; cette pensee humiliante le faisait horriblement souffrir. De
nouveau, il secoua violemment la tete pour ecarter cette idee
intolerable. Ne plus songer a tout cela. C'etait mort. C'etait une chose
que de ses propres mains il avait tuee.
Mais alors quoi? Que lui restait-il dans l'avenir? Rien. Il n'y avait
plus d'avenir pour lui. Plus d'illusion, d'ideal, d'espoir: plus rien
que la monotonie rampante des annees, avec le fantome de sa faute, qui
lui fermait toutes les issues. Alors c'etait la son seul recours? Plus
que ca, Sidonie et rien d'autre, comme unique et supreme refuge? Il ne
savait pas, sa tete bourdonnante se perdait, ses mains tremblaient, il
se sentait faible et desempare comme un petit enfant. Brusquement, il
s'affaissa par terre et eclata en larmes de desespoir. Les pleurs le
soulagerent. Un peu de clarte se fit dans son esprit et quelque
apaisement dans son ame. Il s'essuya les yeux et se remit debout. La
terre feconde que son corps venait de presser exhalait une si bonne
odeur et le chant des alouette
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