s pauvres, de l'humanite cordiale, au moins,
une franche et fraiche jeunesse qui vous reconfortait. Il y oubliait sa
misere morale et ses soucis rongeurs. Il ne savait s'il se deciderait
jamais a epouser Sidonie. Peut-etre oui, peut-etre non. Mais cela
pouvait durer ainsi: il n'etait pas le seul a vivre de cette maniere et
s'en accommodait. Aux choses a s'arranger d'elles-memes.
Du reste, Sidonie, ses parents, son frere et ses soeurs s'en
contentaient aussi et ne parlaient plus de rien. Seule, la mere
continuait a exercer une surveillance vigilante et repetait a
l'occasion: "Tres bien, tout ca, mais qu'il n'en vienne pas un second!"
Et M. Triphon et Sidonie veillaient. Quant au "premier" il grandissait
et se developpait a souhait, au grand bonheur de la maman et des soeurs.
Mais, comme il commencait a devenir fort bruyant et genant,
ordinairement on le fourrait au lit avant l'arrivee de M. Triphon, afin
de ne pas gater sa bonne soiree.
TROISIEME PARTIE
I
A la fabrique, pourtant, il y avait quelque chose de change. On y
sentait fermenter un sourd mecontentement, grandir comme une oppression.
Il etait rare que Leo fit encore entendre son mugissant "Oooo ... uuuuu
... iiiii ..." et Feelken son agacant "Fikandouss-Fikandouss". C'etait
un evenement rare, quand Ollewaert demandait a M. Triphon une goutte aux
puces de Kaboul, ou que le malicieux Free se payait la tete de cette
espece de veau qu'etait Miel. Leo et Feelken montraient souvent des
visages renfrognes et sombres; de meme que Berzeel qui n'oubliait pas,
certes, de se saouler chaque dimanche, mais, en reparaissant le lundi
matin a la fabrique, montrait moins souvent un visage ensanglante ou
tumefie. Les autres aussi etaient devenus plus silencieux et renfermes.
Et Justin-la-Craque avait bien moins de succes que jadis lorsqu'il
venait maintenant, suivi de Komel, debiter, avec une obstination
d'ivrogne, son sinistre _O Pepita_.
Dans la "fosse aux femmes" le phenomene etait a peu pres analogue. On
n'y entendait plus que rarement leurs voix nasillardes et trainantes
egrener les airs melancoliques par quoi elles essayaient de tromper les
heures interminables de leur fastidieux travail; et c'etait plutot a
voix basse qu'elles s'entretenaient, et de sujets qui paraissaient
toujours serieux et graves. On chuchotait, et meme on soupirait
beaucoup, depuis quelque temps dans la "fosse aux femmes"; et lorsque
Sefietje venait a dix heures et a six, avec
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